L'art de la section suédoise

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worldfairs
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L'art de la section suédoise

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Texte de "L'art vivant" de 1925

Dans l’article qu’il consacra à la première Exposition Internationale à Paris, Ernest Renan déplorait que ce fût son siècle qui, pour la première fois, eût convoqué de grandes multitudes sans leur proposer un but idéal. Ce but, les organisateurs de l’exposition de 1925 l’ont proposé, montré, défini : c'était la mise en œuvre du principe humanitaire — démocratique, si l’on préfère — de la production en série, la rénovation, sous le triple rapport de la forme, de la couleur, de la commodité, de tous objets d’usage domestique. Cela suffirait à justifier tous les enthousiasmes, à exciter la plus noble émulation.

Vue d'ensemble du pavillon suédois, Carl S. Bergsten, architecte
Vue d'ensemble du pavillon suédois, Carl S. Bergsten, architecte

Des mois se sont écoulés depuis l’inauguration. Nous avons parcouru en tous sens la ville éphémère édifiée au milieu de la capitale. Nous avons eu tout loisir d’étudier, et de comparer entre elles, les sections et les classes. Nous avons été sensibles au charme extérieur des choses, au chatoiement des étoffes, des vernis, des engobes. Cependant, tant de magnificences étalées ont un sens profond. Et trois sections essentielles nous ont paru résumer, éclairer, dans le cadre de l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes, le moment actuel — transitoire — de la vie sociale en Europe : la section française, la section russe et la section suédoise.

De haute qualité esthétique est la section française. Ce ne sont, à part de rares exceptions, que pièces uniques, savamment ouvrées à la main, composées de précieuses matières. Le tout signifiant que l’élite artistique de la nation se trouve toujours au service exclusif, ou à peu près, de l’élite fortunée. Les grands magasins eux-mêmes, dont le rôle sera décisif dans l’indispensable entreprise de réconciliation entre l’art et le peuple, ont généralement failli à leur mission. Quand l’effort principal aurait dû porter sur la nécessité de produire à bon marché des ouvrages d’un goût sobre et raffiné, on a cédé à l’orgueilleuse tentation de faire œuvre d’opulence, en fer forgé, ivoire et or, bois rares — de coûteuse élaboration.

Une jolie fontaine du pavillon suèdois
Une jolie fontaine du pavillon suèdois

Décevante est la section russe. Là où nous espérions, quand même, avoir à noter les prémices d’une renaissance, nous nous sommes heurtés à des réalités représentant pour nous un très lointain passé. Les produits exposés là paraissent dater — et datent en effet — d’avant l’introduction du machinisme dans l'industrie des peuples civilisés. Ce ne sont que menus objets taillés au couteau, travaux de patience sur ivoire — comme si le temps, à notre époque, avait cessé de valoir money — tissus fabriqués et ornés à la main, selon les techniques les plus manifestement primitives. Quant à cette exhibition de costumes populaires provinciaux, n’a-t-elle pas un indéniable caractère de réaction? La révolution Française a contribué à en proscrire l’usage dans l’Europe entière; et l’unification des manières de se vêtir signifie un pas accompli vers l’idéal d'égalité.

Rassurante et, par quelques côtés, exaltante, est la section suédoise. En verrerie, tissage, travail de métal, céramique, la production d'objets d'usage courant est la préoccupation dominante. L’agrément des formes substitué à la préciosité de la matière. L’ouvrage de fonte préféré à l’ouvrage de forge. La faïence mécaniquement décorée, préférée aux effets de grand feu L’article de bazar haussé à la dignité d’objet d’art.

Meubles de Carl Malmsten
Meubles de Carl Malmsten

“ Pour bien comprendre le caractère de l’art décoratif moderne de la Suède — nous a dit textuellement M. Erik Wettergren, directeur des collections d’art décoratif du Musée de Stockholm — il faut songer à sa riche complexité et à la profonde différence de nature qui lui ont donné sa forme. Ses racines plongent à travers les siècles et, si l’on veut
grosso modo le caractériser, on pourrait dire qu’il y a trois racines principales qui donnent au faîte de l’arbre sa vie et son caractère.
« L’une de ces racines s’attache directement au sol même du pays, c’est le caractère national rustique de notre art appliqué. Là, déjà, nous trouvons une série de couleurs delà plus grande variété, couleurs multiples et diverses comme le pays lui-même.

« Seconde “ racine ” : Il n’est pas douteux que les influences de l'époque historique que nous avons le plus facilement et le plus réellement assimilées nous sont venues de France, et pendant notre “ grand ” siècle artistique, le XVIIIe, aucun pays n'a mieux compris que la Suède la force, la grâce et l’harmonie de la culture artistique française. La construction, et surtout l’aménagement du château royal de Stockholm servit à répandre ce goût français qui, cependant, ne fut pas copié sans que le Suédois y mit un peu de son âme: mais il prit dans ses mains un cachet de simplicité sobre et de clarté architecturale. Si le rococo de Meissonier et le style Louis XVI de Delaforge peuvent être comparés à une rose somptueuse, la rose “ la France ”, à son plus haut degré de civilisation, la Suède qui s’imprégna de cet art serait la fleur que le général C. J. L. Almgkist considérait comme le symbole du caractère suédois, la simple églantine, “ figure de la pauvreté, du charme sauvage et de la pureté ”. Le résultat fut une manière bourgeoise, affinée mais bien de son terroir, qui a trouvé son expression dans des meubles, des faïences, des objets de verre et d’argent qui témoignent d’une bonne habileté de main et d’un goût artistique très sain. L’influence française eut encore un second printemps lorsque Bernadotte, comme roi de Suède, apporta le sévère style militaire de l’épopée napoléonienne, mais celui-là encore devint plus simple, il s’adapta d'une manière plus marquée à la vie quotidienne que s’il avait été dessiné dans les ateliers de Percier et Fontaine.

"David" par Ivar Johnsson
"David" par Ivar Johnsson

“ Vint le siècle de l'industrialisme : et nous vivons toujours avec ce qui le caractérise, l’éclectisme. Mais de toutes les influences variées qui viennent de Chine et d’Espagne, d’Angleterre et d’Italie, se dégage un élément purement moderne, qui est international et dont l’essence est le rationalisme. On peut dire de lui que c'est un effort pour soumettre le travail mécanique à la domination du goût rationnel, pour créer des objets adaptés aux besoins des hommes de notre temps, sans rechercher à tout prix l’originalité, mais avec un sentiment tout nouveau de l’esthétique des machines et des moteurs. C’est la troisième des racines principales que j’ai dit constituer le caractère du style suédois moderne, qui, par conséquent — mais très schématiquement— est le composé d’un élément national et rustique, de l’harmonie classique héritée delà culture suédo-française du XVIIIe siècle, et d’un rationalisme industriel moderne.”

Si j’ai tenu à citer tout au long le témoignage de M. Eric Wettergren, c’est parce qu’il me paraît expliquer à merveille — nonobstant ces " racines ” dont la métaphore se peut à peine soutenir — l’impression de maints artistes français qui déclarèrent que le pavillon suédois était l’endroit de l’exposition où ils se trouvaient le moins “ dépaysés ” — et ils n’excluaient pas, ce disant, de l’ensemble de l’exposition, nos pavillons nationaux. L’idéal de précision, d'ordre et de clarté, qui est celui de M. Carl C. Bergsten, architecte du Pavillon d’honneur de la Suède, revêt, sous le ciel d’Ile de France, la plus séduisante apparence. Et il n’est pas impossible — tant est marqué le succès de cette œuvre auprès des constructeurs de chez nous — que le Suédois, par un juste retour des choses d’ici-bas, soit venu, en 1925, nous réapprendre un amour de la mesure, des proposions délicates et justes, de la nuance, qui fait le fond de notre tradition.

Salon, par Uno Ahren
Salon, par Uno Ahren

Ce pavillon se compose d’un vestibule ou antichambre, d’une salle de réception et de locaux pour bureaux. Un bassin rectangulaire, en avant de la façade principale reflète, de celle-ci, la vénuste colonnade, le fronton délicat. Sculptures décoratives de MM. Nils Sjogren, Carl Milles: le long de la façade sud, court une terrasse que limite une barrière eu fonte, exécutée par M. Nafveqvarns Bruk, d’après une composition de M. Ture Ryberg; bas-reliefs en terre cuite composés par M. Ivar Johnsson, exécutés par Hoganas-Billesholm A.-B.; deux grandes cruches en majolique, composées par M. Carl Milles. Autour du bassin sont placés des bancs, des urnes, des fontaines, un cadran solaire — le tout en fonte, exécuté par M. Nafveqvarns Bruk, d’après les dessins de MM. Ivar Johnsson, Olof Hult, Eric Grate, E. G. Asplund, Johannes Dahl, Henrik Krogh, Rolf Bolin etc, ainsi que deux urnes eu terre cuite d’après composition de M. Edgar Bockman.

La salle d’entrée est ornée de huit colonnes et de trois dessins de porte en fonte, et les murs sont ornés de peintures exécutées à la détrempe par M. Olle Hjortzberg, directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Stockholm. Les peintures sont des cartes stylisées, avec des textes résumés et des figures, destinées à renseigner d’une façon synthétique sur la Suède, sa situation en Europe, ses communications, sa vie économique et culturelle, etc. etc.

Le remarquable parquet de la salle de réception, en pierre calcaire taillée et chêne, est l’œuvre de l’architecte du pavillon. Au fond de cette salle, dans une niche d’un grand effet décoratif grâce à son éclairage par le dessus, un David, en bronze, de M. Ivar Johnsson. Meubles de la Nordiska Kompanict, d’après les compositions de MM. Carl Horvik et Carl Malmsten. Tapis de Mlles Eva Nilsson, Maja Sjostrom, Agda Osterberg. Cristaux par MM. Simon Gate et Edward Hald. Poignées de portes en bronze et en ébène par A. Herman Bergman.

Au rez-de-chaussée du Grand Palais, céramiques usuelles, d’une gaîté vigoureuse et claire, verreries d’Orrefors, d’une simplicité de bon âloi. Au premier étage, modèles et photographies du nouvel Hôtel de Ville de Stockholm, terminé en 1923. Dans les galeries des Invalides, l’art textile manuel suédois, papiers peints, appareils d’éclairage et tissus d’ameublement ; de plus, quatre présentations d’intérieurs — antichambre, salon familial, salon de dame — et un cabinet de travail qui réalise la perfection, selon la parole du Bouddha : un lieu de refuge et de bien-être, pour méditer et acquérir des connaissances.



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