Les petits métiers - La Fabrique de Chapeaux de feutre

Paris 1867 - Discussions, informations, questions
Avatar du membre
worldfairs
Site Admin
Messages : 10916
Enregistré le : 21 juin 2004 09:41 pm
Localisation : illkirch
Contact :

Les petits métiers - La Fabrique de Chapeaux de feutre

Message par worldfairs »

Texte de "L'Exposition Universelle de 1867 Illustrée"

metitsmetiersfabriquechapeaux.jpg

Nous sommes dans la galerie des machines, à l’extrémité de la section française, près du point où cette dernière confine à l’Algérie. C’est en cet endroit que fonctionne ce qu’on a appelé les petits métiers quoique la plupart de ces métiers ne soient rien moins que petits, si on considère soit leur utilité soit le chiffre de leur production; on les nomme ainsi en raison des moyens qu’ils emploient, moyens qui, en effet, semblent presque élémentaires lorsqu’on les compare à ceux auxquels recourent tant d’industries où l’ouvrier n’intervient que comme force dirigeante d’organismes de fer et d’acier qui ont la vapeur pour force vitale. Ici l’homme agit sur la matière plus directement, plus simplement, aidé d’outils plutôt que de machines. Sous ce rapport, ces métiers nous représentent l’état ancien de toutes les industries, mais sous ce rapport seulement, car la plupart mettent en œuvre des procédés très-nouveaux, très-perfectionnés et montrent par là qu’ils sont de leur temps. Il y a d’ailleurs dans leur simplicité même quelque chose d’archaïque, dont nous sommes déshabitués et qui est un attrait. C’est là que se sont groupés la passementerie, les tourneurs d’ivoire, les tailleurs de diamants, la plomberie d’art, les fabricants d’agrafes, de boutons et de bouchons, et d’enveloppes de lettres, les compositrices d’imprimerie, les souffleuses de ferles, les fleuristes artificielles et tant d’autres que j'oublie. C’est là encore que la manufacture de chaussures à vis a établi son atelier modèle, et que les constructeurs de machines à coudre de Paris et de la province se sont donné rendez-vous; ce qui suffirait à montrer que ce compartiment n’est rien moins qu’arriéré. Mais même dans ces dernières industries le rôle de l’ouvrier se comprend à première vue; il n’en est pas ici comme de ces imposantes et mystérieuses machines, formidables dans leur soumission même qui font par des moyens dont on ne se rend j-as compte, une besogne qu’on eut jugée impossible. On voit l’homme agir et l’homme, surtout quand c’est une femme, est toujours pour l’homme le plus intéressant des spectacles. Aussi cette partie de la section française ne désemplit-elle jamais. Mais bien que la vogue appartienne à tous ces ateliers, il en est un auquel la curiosité publique a accordé la palme dés l’ouverture de l’Exposition.
C’est celui de M. Haas. On y fabrique des chapeaux de feutre, par des moyens d’une ingéniosité singulière et qui ont tout l’attrait de l’inattendu. Le difficile est d’en approcher, un-triple rang de spectateurs en entourant constamment les abords. Comme je ne puis solliciter de l’obligeant M. Haas, la faveur d'admettre dans son compartiment tous ceux qui me lisent, au- lieu de nous mêler à. cette foule, nous allons, si vous m’en croyez, nous élever au-dessus d’elle. Gravissons donc l’escalier de la plate-forme, accoudons-nous à la balustrade et regardons; tout l’atelier est sous nos yeux, et nous le voyons d’assez près pour ne rien perdre de ce qui s’y fait.

Un plaisant a écrit qu’un lapin vivant déposé à l’une des extrémités du mécanisme, en sortait par l’autre bout sous forme de chapeau, garni, bordé et gansé. C’est une manière pittoresque d’exprimer combien est prompte et facile la transformation de la matière première en article manufacturé. Regardons à droite, c’est là que l’opération commence. Une femme pèse d’abord la 'quantité de poil de lapin nécessaire pour faire un chapeau; cela varie de 210 à 220 grammes. Ce poil a subi au préalable l’action de l’acide nitrique et du mercure, mais nous n’avons à nous occuper que de cé qui se passe devant nous. Ayant dosé la matière première, la même ouvrière l’étend, comme vous le voyez, sur la table d’une machine placée auprès d’elle. Cette machine, qui est de beaucoup la pièce la plus intéressante de cette intéressante fabrication, est ce qu’on nomme la bas-tisseuse. Entraîné à l’intérieur de celle-ci, le poil s’y divise, puis, saisi par le vent d’une soufflerie il en sort par une ouverture verticale, beaucoup plus large en bas qu’en haut, vous saurez tout à l’heure pourquoi.

Du point où nous sommes cette ouverture ne se voit pas, mais ce que nous apercevons très-bien, c’est un cône en cuivre qui est placé devant elle, debout sur sa base et qui tourne autour de son axe. Remarquez que ce cône est percé de trous; à l’intérieur du bâti sur lequel il repose, fonctionne un aspirateur. Voyez-vous comme peu à peu les trous deviennent moins distincts? Én quelques minutes ils ont tout à fait disparu sous une couche grisâtre; cette couche qui se dépose, c’est le chapeau qui se fait. L explication se devine. Expulsé par la soufflerie dans la direction du cône, et appelé vers celui-ci par l’aspirateur, le poil de lapin s’est collé à la surface humide du cuivre, et comme be cône tournant sur lui-même présente successivement toutes ses faces au tourbillon, il est partout également recouvert de duvet. Egalement? je me trompe ; certaines parties du chapeau doivent avoir plus de force que les autres, et ces parties répondent à la partie inférieure du cône; c’est pourquoi la lente par laquelle le poil s’échappe est plus large en bas qu’en haut : la ente débite naturellement plus de matière là où elle est le plus large. D’ailleurs, un ouvrier, debout près de cette ouverture et tenant de la main droite une planchette, règle, au moyen de celle-ci, la direction que doit prendre le flux de poils pour fortifier telle ou telle partie.

Mais voici que la bastisseuse s’arrête. Le cône métallique est recouvert d’un autre cône de même matière, également percé de trous; entre les deux se trouve donc la toison que nous avons vue se déposer; on enlève le tout pour le plonger dans une cuve pleine d’eau chaude, d’où on le retire aussitôt. La forme velue est (alors dégagée de sa double enveloppe de cuivre. Elle y était entrée à l'état de duvet, elle en sort à l’état de chiffon. Une femme s’en empare, la presse, la roule doucement entre des linges, puis la livre à ces deux ouvriers qui vont lui faire subir l’opération du foulage dans la machine que voici Cette machine la rend bien plus petite, mais bien plus forte qu’elle ne l’a reçue; l’objet a gagné en épaisseur ce qu’il a perdu en étendue. C’est maintenant un véritable feutre, et vous ne le déchireriez pas même en tirant très-fort entre vos doigts.

Le reste, toujours intéressant, n’a plus rien qui étonne. A la main, l’ouvrier qui est là-bas, à gauche, donne à ce feutre qui est encore informe une première apparence de chapeau; puis après qu’on l’a fait sécher, ce chapeau placé sur un tour reçoit, comme vous le voyez, à l’aide du papier de verre et de la pierre ponce, un poli et une finesse de grain qui ne laissent plus rien voir de sa vulgaire origine. Maintenant il ne reste plus qu’à l'approprier (terme de métier), à le garnir, à le border, ce qui se fait à la machine, à le vendre, à l’user, à le jeter à la borne, où le chiffonnier le ramassera pour le vendre au marchand d’engrais, qui le vendra au maraîcher, qui s’en servira pour faire pousser des légumes dont une partie servira à faire pousser des lapins, qui fourniront de nouveaux poils pour faire de nouveaux chapeaux, qui, à de nouvelles expositions fourniront le sujet de nouveaux articles explicatifs.

La bastisseuse avait déjà été exposée en 1855 par M. Laville, chapelier.



Retourner vers « Paris 1867 - Informations, discussions, questions »