Le Mérinos négretti de Prusse

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worldfairs
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Le Mérinos négretti de Prusse

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Texte de "L'Exposition Universelle de 1867 Illustrée"

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Une très-belle exposition de mérinos avait lieu à Billancourt, durant la première quinzaine de juin. Elle était surtout remarquable parce qu’elle comprenait tous les types de la race mérine, depuis le plus petit modèle jusqu’au plus grand. On sait que, originaire de la Barbarie, cette variété précieuse nous vient de l’Er pagne où elle avait été introduite par les Maures.

C’est de la seconde moitié du dix-huitième siècle que date l’exportation du mérinos dans toute l’Europe. L’histoire de ces migrations prouve l’influence que le sol, le climat et l’éducation peuvent exercer sur la conformation et les aptitudes des animaux domestiques. Les divers types exposés à Billancourt nous en ont fourni la démonstration éclatante.

En voyant combien tous ces types différaient entre eux par la taille, par le poids, par la toison et par le plus ou moins d’aptitude à parfaire leur croissance, pouvait on raisonnablement soutenir qu’ils dérivassent de la même souche? Les mérinos négrettis de Prusse, exposés par M. Casimir de Chlapowski et M. le comte de Mielzynski, tous les deux du grand-duché de Posen, sont restés à peu près tels qu’ils étaient en Espagne. Ils ont une petite taille et par conséquent ils pèsent peu. Leur toison est courte, tassée, d’une grande finesse, mais fortement chargée de suint. Ce type, durant les trois premières années de sa vie, convertit sa nourriture en os, en laine et en suint; c’est seulement vers la quatrième année qu’il commence à se mettre en chair.

Le mérinos du nord de la France, dont celui de la Brie peut être considéré comme la plus haute expression, est au moins trois fois gros comme le négretti : il pèse par conséquent trois fois plus. Il a la toison longue et ouverte, sa mèche est moins fine, mais n’a plus beaucoup de suint. Dès son jeune âge, il transforme sa nourriture en viande, et vers 15 à 20 mois il acquiert toute sa croissance.

Entre ces deux types, voilà certes de profondes différences en ce qui touche à la physiologie. Mais il eu est d’autres, non moins remarquables qui concernent seulement les formes extérieures. Le négretti espagnol a la tête forte, le cou long, la poitrine étroite, la ligne dorsale ensellée, le derrière pointu, les jambes épaisses et longues. Sa peau est couverte de grands plis qui forment une espèce de fanon sur le devant et des hachures sur tout le corps. Il est couvert de laine depuis l’extrémité du museau jusqu'à l’extrémité des pattes.

Le mérinos de la Brie, relativement à son volume, possède une tête moins forte, un cou moins allongé; sa poitrine est large, sa ligne dorsale droite, sa culotte carrée; ses jambes sont moins longues et plus fines; sa peau, devenue lisse, ne renferme plus de plis. Il n’a presque plus de laine sur les pattes. Telle est la conformation extérieure du mérinos de boucherie.

Après cette description, on serait porté à croire que le mouton de la Brie est une variété distincte du négretti, tandis qu’en remontant à un siècle il n’y avait alors qu’un seul type, le mouton espagnol. Le mérinos de la Brie est donc un être de formation récente, qui est l’œuvre de nos éleveurs. Arrêtons-nous un instant sur cette œuvre, et lâchons de dire comment elle a pu s’accomplir.

Augmenter la taille et le poids d’un animal n’est pas chose difficile : il suffit de bien le nourrir; mais lorsque d'une toison courte, tassée, fortement empreinte de suint, il faut tirer une toison à longue mèche et qui n’a presque plus de suint, la solution est plus difficile. On y arrive toutefois en choisissant dans un troupeau les types qui ont le plus de meche et en les multipliant entre eux. A mesure que la mèche s’allonge, le suint s’évapore et s’affaiblit; il est, au contraire, retenu par une toison tassée.

Le fait que le mérinos d’Espagne ne transforme d’abord sa nourriture qu’en os, en laine et en suint, s’explique par la vie vagabonde de cet animal et par son alimentation, qui est toujours insuffisante. Dans le nord de la France, les éleveurs nourrissent très-fortement; or, il est reconnu qu’avec un régime substantiel dès le jeune âge, les parties alibiles se portent de préférence vers les muscles. C’est ce qui explique pourquoi, avec un tel régime, on réduit successivement la charpente osseuse, le volume de la tête et des jambes, on arrive à la précocité et on obtient de plus grandes quantités de viande.

La nourriture, le régime, le choix des reproducteurs, voilà le secret des transformations que les éleveurs ont fait subir à la race mérine; mais ces changements en ont amené d’autres tout aussi considérables au point de vue de l’alimentation publique. Le mérinos à laine tassée conserve dans sa toison tout le suint qu’il produit; or, ce suint, qui humecte sans cesse la peau de l’animal, communique à la chair un mauvais goût qui la rend immangeable. En Espagne, en Prusse et dans toute l’Allemagne, où le mérinos a la toison tassée, on ne mange pas de cette viande. En France, le mérinos, dont la toison est ouverte, n’a presque plus de suint; aussi sa chair n’a plus le mauvais goût qui caractérise celle du mérinos à laine tassée. Nos éleveurs ont donc approprié aux besoins de la boucherie cet animal qu’en Espagne et de l’autre côté du Rhin tous les consommateurs repoussent.

La différence qui existe entre la laine du négretti, qui est très-fine, et celle du mérinos de la Brie, qui est commune, s’explique tout aussi facilement. Les animaux de petite taille qui vivent en liberté, donnent peu de produits, mais ils sont de première qualité. Au contraire, les animaux dont on a grandi la taille par une forte nourriture perdent en finesse ce qu’ils gagnent en volume. La laine du mérinos de la Brie est donc moins fine que celle du mérinos négretti, mais l’abondance de la toison et le poids considérable de viande que laisse le mérinos de la Brie, compensent et au delà toute la différence qui existe dans les prix entre la laine fine et la laine commune.

Au reste, lorsqu’ils veulent réussir, les éleveurs doivent tenir compte des circonstances économiques au milieu desquelles ils agissent. En Allemagne, la consommation de la viande est très-faible ; les propriétaires de troupeaux ne songent qu’à faire de la laine. En France, où nous sommes de grands mangeurs de viande, les propriétaires de troupeaux, sans négliger la laine, qui paye une partie de l’éducation, doivent surtout travailler pour la boucherie. Chargez les conditions économiques de l’Allemagne, faites qu’elle consomme beaucoup de viande, et vous verrez les éleveurs de mérinos transformer leurs troupeaux de manière qu’ils puissent satisfaire toutes les demandes.

Les négrettis de MM. de Chlapowski et de Mielzynski, dont nous donnons ici les portraits, sont donc très-bien appropriés aux besoins de l’Allemagne. Ces troupeaux utilisent les herbes des vastes étendues de terres incultes qui existent encore dans le pays. Ils produisent de très-belle laine qui trouve son emploi dans la fabrication des draps de prix. D'après une note de M. Chlapowski, son troupeau se compose de 350 têtes, qui sont destinées à faire des reproducteurs. Chaque année, il vend des brebis dont les cours varient de 10 à 100 frédérics. Parvenus à leur troisième année, les béliers pèsent de 140 à 150 livres d’Allemagne et donnent de 10 à 12 livres de laine en suint. Au lavage à froid, ces toisons perdent de 40 à 50 0/0, et lorsqu elles sont lavées à chaud, la perte totale est de 62 0/0.

La bergerie de Kopaszew descend en ligne directe d’un troupeau donné en 1755 par le roi d'Espagne à Marie Thérèse. Vers la même époque, de Latour-d’Aigues, président au parlement d’Aix, avait pu se procurer quelques têtes de mérinos. Alors l’exportation de cette race précieuse était défendue sous peine de mort. C’est en 1786 que Louis XVI obtint de l'Espagne un petit troupeau qui fut établi à Rambouillet, où il existe encore aujourd’hui. Seulement on a beaucoup grossi la taille et allongé la mèche. Nous avons maintenant en France des troupeaux qui valent beaucoup mieux que celui créé par Louis XVI.

Le troupeau de la bergerie de Kotowo, appartenant à M. le comte de Mielzynski, n’a rien à envier, comme type, à celui de la bergerie de Kopaszew. Tous deux appartiennent à la même race, tous deux figurent à l’exposition de Billancourt, où ils ont obtenu une médaille d’or. En tenant compte des observations que nous venons de faire, cette récompense est parfaitement méritée. Mais il ne faudrait pas croire pour cela que le mérinos du grand-duché de Posen puisse convenir à la France. En fait de mérinos négretti pur, il n’existe plus chez nous que le troupeau de Naz, appartenant au général Girod de l’Ain. Tous les autres, et ils étaient nombreux dès le début, ont été grossis par des croisements, et une nourriture plus substantielle, plus abondante. Le troupeau de Naz ne donne que des pertes. Jamais nos éleveurs ne songeront à cette race. C'est pourquoi, malgré leur incontestable valeur, ils songeront moins encore aux négreltis du grand duché de Posen. A chaque pays il faut des animaux domestiques qui lui soient appropriés et répondent à ses besoins.



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