Les Charpentiers de Paris - Exposition de 1937

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Les Charpentiers de Paris - Exposition de 1937

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Les Charpentiers de Paris - Exposition de 1937
Editeur : Les Charpentiers de Paris
Année de sortie : 1937
Langue : Français

 Livre - Les Charpentiers de Paris - Exposition de 1937

Préface de Justin Godart, sénateur et ancien ministre :

Comme un mirage magnifique, L'Exposition a rempli nos yeux de ses splendeurs et a disparu. Beffrois, donjons, clochers, tours, façades superbes, ont dressé leurs profils sur l'horizon, ont reflété dans la Seine leurs lignes classiques, leurs courbes modernes. Le plus grand effort de construction a été accompli pour la plus courte durée. Il a fallu établir la fragilité des décors de toile peinte, de plâtre déguisé en granit ou en marbre, sur la solidité des poutres dressées et assemblées. Ce fut un des spectacles les plus impressionnants de la démolition de L'Exposition que celui des ossatures des Pavillons dépouillés de leurs luxueux revêtements. On eut, un instant, la vision d'un squelette immense, surprenant de grandeur et d'harmonie, révélant par sa nudité, son rôle caché, manifestant la puissance que donnent à de faibles éléments de bois ou de fer le support mutuel exact, le point d'appui précis, l'équilibre rigoureux.

C'est l'art traditionnel du charpentier qui a permis d'édifier, au cœur de Paris, la passagère cité d'architectures factices que fut L'Exposition.

Et les constructeurs hardis de la plupart des Palais que le monde entier a admirés, ont été LES CHARPENTIERS DE PARIS.

Leur technique éprouvée vient de l'expérience corporative la plus lointaine, transmise par des Maîtres ayant dégagé de la pratique du métier les règles qu'ils ont enseignées tout en continuant à œuvrer. L'école de trait et le chantier ont toujours été confondus: et, dans la même journée, l'apprenti manie le crayon pour tracer l'épure et l'outil pour dresser la matière.

Une telle formation, issue directement du travail, ne peut-être que forte et féconde. Elle prend une valeur incomparable lorsque le savoir, l'habileté, la force assouplie au service des rudes tâches, le courage, en bref, les intelligences et les corps, trouvent, dans la conscience professionnelle, l'armature qui ne faiblit point.

Aux CHARPENTIERS DE PARIS cette armature est donnée par la légitime fierté d'être des ouvriers finis, pouvant voir et comprendre ce qu'ils ont à mettre d'eux-mêmes dans la construction, sachant qu'une faute de leur part se traduirait en insécurité, voire en catastrophe, ayant, à chacun de leurs gestes, le sentiment de la responsabilité. Et si la personnalité ainsi façonnée par le métier se sent renforcée dans ses vertus par l'association, elle en acquiert un surcroit de possibilités et de dignité.

Les CHARPENTIERS DE PARIS sont unis par un double lien, celui du compagnonnage et celui de la coopération.

Certains s'étonnent de la survivance du compagnonnage. C'est un fait. Sa constatation révèle simplement la vitalité de cette forme de groupement. Elle mérite, par là, le respect. Et à d'autres titres aussi. A travers les siècles, malgré les poursuites, les condamnations, les interdictions, le compagnonnage, obligé à des rites secrets pour échapper à la police, a défendu ardemment la classe ouvrière et l'a amenée à trouver en elle-même les forces nécessaires à sa défense et à l'amélioration de son sort. Pour la cause du Travail, les compagnons ont lutté et souffert autant que n'importe quels militants syndicalistes. Et la même foi que par le passé les anime toujours.

La longue pratique de la solidarité qui donne aux Compagnons une âme commune pour l'aide mutuelle et le soutien moral, devait les amener à la coopération. C'est la pente qu'ont suivie les CHARPENTIERS DE PARIS qui sont une des plus anciennes Sociétés Ouvrières de Production.

Lorsqu'ils se sont constitués en 1893, ils avaient un modeste capital de 135.000 Frs. Quelle activité intelligente il leur fallut déployer pour pouvoir, dès la 3™° année, atteindre un million et demi de chiffre d'affaires. Ils n'eurent pas seulement à faire leurs preuves comme un entrepreneur : ils durent, de haute lutte, par l'exécution irréprochable, par la ponctualité, conquérir la confiance hésitante devant des ouvriers qui prétendaient être leur propre patron. Et puis, s'ils avaient leurs bras, leur volonté, leurs qualités, il leur manquait /''approvisionnement considérable en bois et en fer nécessaire à une entreprise comme la leur. A le rassembler, ils consacrèrent toutes leurs ressources, fixant avec la plus stricte économie leurs salaires et leurs dépenses. Cette politique de prévoyance poussée à l'extrême — on en croit généralement incapable une gestion ouvrière — permit aux CHARPENTIERS DE PARIS d'accumuler un stock de matériaux dont, au jour de la Guerre, l'importance rendit d'éminents services à la défense nationale.

Lorsque Paris fut au péril des Bombardements, c'est à l'habileté des CHARPENTIERS DE PARIS que la Ville eut recours pour mettre Monuments et Œuvres d'art à l'abri d'une ingénieuse et efficace protection.

Quand il a fallu, à l'intérieur et au front, accroître les ressources hospitalières les CHARPENTIERS DE PARIS multiplièrent les baraques confortables pour abriter les blessés.

Et le jour où le long des Champs-Elysées, se déroula le cortège de Victoire, ce fut grâce aux Charpentiers de Paris que tout un peuple ému et enthousiaste put s'entasser, sans accidents, sur des tribunes rapidement et solidement construites.

Avez-vous jamais visité avec un compagnon charpentier les combles d'une Cathédrale ou d'un vieil édifice ? Au-dessus de votre tête les pièces de bois forment des figures géométriques élégantes quoique trapues. Le compagnon vous explique comment tout cela tient, et souligne que cela tient depuis longtemps. Il énumère les entraits, les arbalétriers, les poinçons, les contrefiches, les jambettes et, tout d'un coup, sa voix devient grave lorsqu'il désigne « la poutre maîtresse », celle sur laquelle est réparti le lourd fardeau de la toiture, et qui le porte avec tranquillité.

Les institutions, quelles qu'elles soient, ont besoin d'une poutre maîtresse. Celle des Charpentiers de Paris a été FAVARON. Déjà ce nom est un appel sonore et entraînant. Sur FAVARON s'est fondée, s'est appuyée la République Ouvrière des CHARPENTIERS DE PARIS. Il pouvait commander car il était capable d'exécuter, à l'instant, ce qu'il ordonnait. Respecté, honoré par tous, il était resté du métier dans ses allures et dans sa vie. De quels plus beaux titres, d'ailleurs, pourrait-on se parer que de ceux de FAVARON, COMPAGNON, CHARPENTIER, COOPÉRATEUR?

Les travaux accomplis à L'EXPOSITION DE 1937 par les CHARPENTIERS DE PARIS ont montré que ceux-ci, sous une direction, inspirée, soutenue par la fidélité familiale à la pensée de FAVARON, ont su garder et accroître le patrimoine social sur lequel veille sa mémoire.

L'album que j'ai l'honneur de présenter par cette Préface est un témoignage illustré de l'évolution d'une grande Association Ouvrière ayant su, tout en restant attachée à la tradition, se renouveler, en formant dans son sein des élites de travailleurs. Il y a là, pour une démocratie, un bel enseignement de ce que peut le Travail devenant Maître du métier par l'intelligence, la discipline et la coopération.



Ce superbe livre montre de nombreux pavillons rarement présentés dans d'autres ouvrages, et montre aussi leur réalisation. Bref indispensable à tous passionnés de l'exposition de 1937.



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Re: Les Charpentiers de Paris - Exposition de 1937

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Texte de Pierre HAMP.

Plan directeur
Plan directeur

Deux sortes de charpente : celle permanente sur laquelle l’édifice est institué, celle fugace qui n’est qu’un moyen pour construire et non la construction même. Charpente de bâtiment, charpente d’échafaudage. La durable est le squelette de la beauté architecturale. De Huram-Abi à Mansard, de Salomon à Louis XIV, l'ossature de poutres est le premier chef-d’œuvre du bâtiment, sans l’équilibrage duquel rien ne tiendrait et qui disparait sous la maçonnerie. Les tailleurs de pierre des colonnes du Parthenon, les imagiers des statues des cathédrales ont proposé leur travail au regard des siècles et à l’admiration des foules. Le chant des hymnes, les fumées des offrandes, l’agenouillement des prières s accomplissent sous la beauté des sculptures. La charpente n’est pas admise à la gloire des adorations. Sans elle les cloches ne pourraient retentir. L’énergie de leur branle n’est possible que par le beffroi dont rien n’apparait sous la flèche aérienne. Les hommes de la charpente nomment ainsi l’assemblage de poutres qui soutient les cloches, construit indépendant de la flèche, pour isoler les vibrations.

Les charpentiers vertigineux ont été les premiers au péril de la hauteur pour édifier le Palais et le Temple et rien de leur travail ne demeurera visible. Ils auront monté plus haut que le point culminant de l’œuvre, afin de donner aux poseurs de matériaux l’intervalle de levage et ils auront disparu de la gloire du métier.

L’ échafaudage impatiente la foule. Elle attend qu’on le mette bas pour enfin pouvoir admirer ce qu’il cache et qui n’est possible que par lui. Cette arborescence de poutres établie avec tant de science retarde l’inauguration. On souhaite qu’elle soit abattue pour admettre les cortèges et les discours, les processions et les bannières, les chants et les musiques.

L’échafaudeur évite de se servir de clous qui ne permettent pas le démontage facile. Le charpentier de navire en use pour assembler les bois qui seront secoués au péril des flots. Les forgeurs de clous de navire lui en font de longs et solides, capables de supporter les coups de masse et de percer le chêne.

Le charpentier d’échafaudage boulonne plus qu’il ne frappe. Il construit et démonte. Quand il a emporté sa dernière pièce de bois et ramassé son dernier boulon, alors apparaissent les rosaces de Notre-Dame et le feu des vitraux, le portail et la vie des saints.
Le compagnon change de chantier. Derrière lui la cathédrale entre dans les siècles et la gloire de Dieu.

Les temps modernes ont pratiqué une autre sorte de charpente: celle des Expositions, villes provisoires, faites pour soutenir le poids des multitudes, mais vouées à la démolition prompte. Les tréteaux de parade avaient été l’œuvre des grandes foires, mais seulement pour mettre le spectacle ou la marchandise juste au-dessus du niveau de la foule. On haussait un plancher à hauteur de tête d homme. Les théâtres sur place publique comportaient l’érection de scènes charpentées. Le Moyen-Age dépourvu des cirques où avaient eu lieu les assemblées païennes de la Rome à pierre et à ciment, se servait abondamment du bois pour les Mystères chrétiens.

Les tournois et les carrousels étageaient une architecture de poutres autour de la lice des défilés et des exploits. Les tournois qui nécessitaient l'érection de châteaux-forts et de lieux à attaquer et défendre, donnèrent aux charpentiers plus de travail que les carrousels qui s accomplissaient sur piste nue. Les architectes de ces œuvres somptuaires et momentanées sont les précurseurs des constructeurs d’Expositions dont l’œuvre principale est de charpente sur laquelle il n’y a qu’un décor tendu. De la terrasse de Saint-Germain-en-Laye où Gui Chabot, seigneur de Jarnac blessa la Châtaigneraie devant la cour de Henri II, jusqu’à la foule assise aux fêtes de Paris 1937 pour assister au vrai Mystère de la Passion, sur le parvis Notre-Dame, le rassemblement étagé est assuré par les charpentiers.

L’ère des Expositions a inauguré un travail de bien plus grande élévation que celle des tournois et des carrousels. La hauteur des édifices provisoires y atteint celle des monuments de durée. La sculpture est en plâtre creux, la simili-pierre est en enduit sur toile tendue ou en plaque de fibre. Un coup de trique suffit à percer cette apparence mais la foule monte avec sécurité dans ces constructions de bois et de fer, où la puissance d’assise et l’exactitude d’équilibrage sont aussi parfaitement assurées que pour supporter les siècles. Le manque de droiture n’a pardonné que la tour de Pise, sans qu’on ait jamais bien su pourquoi. Un affaissement de terrain déviant le sommet de 5 mètres 30 par rap port à la base a déterminé l'extase artistique devant un monument qui fait preuve de la qualité charpentière car l’inclinaison sans écroulement n'a été possible que par la puissance et la souplesse du squelette sous la maçonnerie. L erreur de fondation qui a mal calculé la résistance du terrain n’est devenue une gloire que par la capacité de l’édifice à supporter la faute.

Un bâtiment d’Exposition ne peut s’attribuer de tels risques. Le sol de Paris n’a pas la précarité de celui de Pise. Quand pour élargir l’aire d’admission on construit sur la Seine en y plongeant par pilotis, c’est encore la charpente qui va chercher au fond de l’eau la sécurité qui permet au visiteur de monter impunément au sommet des étages.

Ainsi cette œuvre qui par l’apparence tient plus du décor portatif de théâtre que de l’architecture durable contient dans sa fugacité la puissance de la conscience professionnelle. Avant d’être du bois ou du fer, la charpente est de la probité corporative. La qualité de l’homme compte avant celle des matériaux. Des poutres d’une résistance suffisante, du bois de belle venue, sans fracture de gel, sans creusement de pourriture, peuvent s’affaisser par la hâte ou l’ignorance de l’ouvrier s’il dispose mal les assemblages ou se met hors d’équerre. La valeur de l’homme est prouvée par le niveau d’eau, le fil à plomb et la taille. Œuvre de main, œuvre d’esprit. Le Trait est la science de cet équilibrage.

Le compagnon charpentier, Maître connaisseur du bois et inventeur de toutes les façons de l'assembler, est le précurseur du calcul des résistances qui a mis en équations la tradition compagnonnique dont l’école remonte à Huram-Abi, que les compagnons appellent Hiram, architecte du Temple de Salomon.

Chroniques, II:
« Salomon ordonna que l’on bâtit une maison au nom de l'Eternel ».

Du Temple de 960 avant Jésus-Christ à l’Exposition de Paris 1937 les qualités professionnelles n’ont pas changé. Les ouvriers d'Huram-Abi: «fils d’une femme d’entre les filles de Dan et d’un père Tyrien », et ceux héritiers de Louis Favaron : Saint-Gaudens, la Clé des Cœurs, Compagnon du Devoir, fondateur des Charpentiers de Paris, sont sous la loi de la pesanteur qui est l’Eternité et dans la science du Métier qui est l’Education. La force qui fait peser les bois les uns sur les autres soumet tous les gestes des hommes; la volonté de s’éduquer les soumet à eux-mêmes. Le Compagnonnage est d abord une intelligence du Travail par l’enseignement du Trait. Les trois rites naguère ennemis : Salomon, Soubise, Maître Jacques ont une identité spirituelle: Le Dessin. Le Charpentier lit des lignes et non des textes. Le Trait est le langage des illettrés savants dans l’art de l’équilibrage du bois. Les signes de charpente formaient un alphabet d’assemblage pour lequel il n’était pas nécessaire d’avoir appris à lire. Aujourd’hui que tous les compagnons ont au moins passé par l’école primaire et achètent chaque matin le journal, l’écriture des signes de charpente n’a pas varié et se passe du Maître d’Ecole mais non du Maître de Trait.

Les cayennes compagnonniques autrefois lieux de pratiques clandestines et de langage conventionnel par quoi les associations ouvrières gardaient leur secret contre la police, sont devenues des cours d’enseignement technique et des écoles de dessin.

Les Compagnons passants charpentiers du Devoir, bons drilles du tour de France, 161, avenue Jean-Jaurès, fidèles au Père Soubise mort depuis 3 000 ans obéissent à leur Mère, Madame François qui en a 27. Les Compagnons charpentiers du Devoir, de Liberté fils du grand roi Salomon, qui tiennent leurs assises 10, rue Mabiîlon sont sous l’autorité de la Mère Madame Charles. L’œuvre spirituelle de l’enseignement du Métier continue avec une application pareille à celle des constructeurs du Temple pour lequel David prépara:
« des bois de cèdre sans nombre, car les Sidoniens et les Tyriens avaient amené à David des bois de cèdre en abondance».

Huram-Abi dit à Salomon :
« Nous couperons des bois du Liban autant que tu en auras besoin; nous te les expédierons par mer en radeaux jusqu'à Japho, et tu les feras monter à Jérusalem ».

Le problème n’a pas changé. La forêt distante du lieu de construction oblige au transport difficile de longues pièces de bois pour lesquelles il faut aujourd’hui des wagons spéciaux, capables de s’inscrire dans les courbes de la voie de 1 m 445, sans forcer sur la rigidité du chargement.

Les bastings et madriers commencent à trois mètres et augmentent de 33 en 33 centimètres, mesure du pied de roi, fixée par les arpenteurs de Charlemagne et qui régit toujours la charpente, conservatrice de sa tradition contre la décimale métrique.

Les bois des Vosges et du Jura ont approvisionné la construction de l’Exposition de Paris 1937.

Le Liban du Temple biblique est pour le Paris des Impositions les forêts de résineux qui bordent les Alpes et le Rhin.

« Tu les feras monter à Jérusalem » de Huram-Abi est devenu le tarit commun P. V. à 0 franc 40 la tonne kilométrique.

Les Compagnons charpentiers sont vêtus du largeau, l’ample culotte de velours qui donne de l’aisance aux gestes accomplis avec une précision mathématique.

Un ouvrier à l’établi, les pieds au sol n’a pas à ajouter à l’habileté de main, celle du corps comme le charpentier chaussé de savates qui assure les pièces de bois à des dizaines de mètres au-dessus du sol. Par sécurité il est ambidextre, frappant aussi bien de la main gauche que de la main droite, car sa position au péril de la hauteur ne lui permet pas de choisir son côté. Il se tient d’abord, précaution que l’homme à l’établi n’a pas à accomplir. Le tourneur, le menuisier sont délivrés du risque de la gravité. Ils touchent la terre. Quand le Charpentier de hauteur y tombe, sa vie et son métier s’achèvent.

Avant tout il lui faut avoir bonne prise, à droite ou à gauche comme le bois le permet. Ce n’est qu’ensuite qu’il sort l’outil passé à sa ceinture.

Les vieux métiers hauturiers ont toujours demandé que l’apprentissage fut commencé très jeune, pour habituer le novice à la sûreté d’attitude dans les positions du risque.

Les: «Etablissements des Mestiers de Paris», d’Etienne Boileau, prévôt de Louis IX, roi de France et saint d’Eglise, limitent sagement le nombre des apprentis et en aucune profession cette mesure n’est plus opportune qu’à celles de péril où l’enfant doit toujours être près du Maître ou du Compagnon qui le doivent traiter comme : « fils de preudome doit être », et ne pas le laisser se mettre en danger.

Le vertige n'est qu’un effet d’imagination que l’éducation et l’habitude évitent. La première éducation mentale du charpentier est de détruire cet effet du creux de chute sur l’esprit. Combien de compagnons se tiennent en risque pour la satisfaction d’être des exceptionnels érigés à cent mètres du sol, sur une pointe de mât où seul un oiseau semblerait en sécurité, ou sur une oblique si raide que les griffes d’un chat y glisseraient.

Eduqué par le péril et le chef-d’œuvre, par l’échafaudage du chantier et le cours de trait des cayennes, le compagnon charpentier est de corps souple et d'esprit subtil.

A ces nécessités du métier, il ajoute la fierté d’une tradition qu'il établit sur trois mille ans de travail. Les chansons de la fête corporative de la Saint Joseph, 19 mars, mentionnent fidèlement les trois patrons de rites: Salomon, fils de David, parce qu’il construisit le Temple dont l’architecture eut une telle gloire que le métier de charpente y fait débuter la sienne; le moine Soubise, représenté dans les cayennes en robe de franciscain, pieds nus et tenant le rouleau des prescriptions corporatives; Maître Jacques qui est surtout pour les ouvriers du fer.

Ces personnages légendaires, précurseurs des Saints de Métiers brodés sur les bannières corporatives, vivent toujours dans la fierté compagnonnique. Ils ont été le Mythe social dont l’âme ouvrière a toujours été éprise et qui en d’autres temps s’est traduit par les droits de 1 Homme et la ferveur de Justice.

Cette millénaire spiritualité persiste dans les travaux dont la perfection ne serait pas possible sans la conscience professionnelle. Avant d être du bois assemblé, l’Exposition 1937 a été une tradition maintenue par les émules de Louis Favaron, Charpentiers de Paris qui ont œuvré sur les chantiers 15.000 mètres cubes de bois et 1.000 tonnes de poutres de fer, sous la direction de René Marchand, chef du chantier du 24, rue Labrouste repris en 1893 par les anciens compagnons de la Villette.

La charpente métallique n’est pas considérée par le vieux compagnonnage comme matière à chef-d’œuvre. Tous ceux des cayennes sont en bois. La végétation forestière ne travaille pas avec la régularité du laminoir. Dans la charpente en fer les matériaux sont mathématiques. Ils arrivent exacts pour le montage. La riveteuse et la clé de serrage suffisent pour les assembler. Le bois a plus de subtilités. Une enture à double queue d’aronde ou un trait de Jupiter à clef avec abouts en coupe exige une science de main inutile à l'homme qui n’a qu’à tourner des écrous six pans sur tige filetée.

Dans l’échafaudage, le compagnon de charpente préfère le bois, matière souple et capable d’absorber les vibrations. Il faut prévoir pour les résistances de tribune non seulement le poids de la foule mais son enthousiasme. Le trépignement unanime est aussi dangereux pour une estrade que la marche au pas cadencé d’une troupe d’infanterie pour un tablier de pont suspendu. Tous les pieds ne doivent pas tomber en même temps.

Les Charpentiers de Paris, ouvriers du bois, sont aussi devenus ouvriers du fer. De l’un à l’autre métier, les qualités de main
changent avec la matière, mais les qualités d’esprit demeurent les mêmes. L’Exposition de Paris 1937 a montré l’association des deux matériaux pour résister aux deux grandes forces: le vent et la foule.

Les travaux ne se sont pas limités à l’enceinte payante. Paris a rafraîchi ses dorures et d’abord celle du dôme des Invalides.

Les Charpentiers ont des œuvres dont le souvenir est momentané et d’autres qui restent notoires. Chantier d honneur vaut champ d’honneur. C’est la gloire d'un compagnon que d y avoir travaillé. La photographie permet aujourd’hui d’en conserver l’exemple dans les bureaux. Mais combien de ces prouesses se sont anéanties dans la mémoire des hommes quand l’image n en a pas été tracée.

Du Temple de Salomon à la Tour des forces d Outremer de l’Exposition coloniale 1931, c’est la même fierté corporative. Elle a été aussi grande pour la digue de la Rochelle exécutée en 1628 par ordre d’Armand du Plessis, cardinal duc de Richelieu.

Le barrage d’assiégeant, l’échafaudage de réfection sont, comme les édifices d’Exposition, des œuvres brèves où s’accomplit l’éternité du Métier.

Les monuments sur lesquels se posent les siècles : la tour Saint-Jacques, le dôme des Invalides, s’accompagnent périodiquement de l’échafaudage momentané, établi pour leur révision et qui est à lui seul un chef-d' œuvre où les Charpentiers de Paris sont experts.

A la tour Saint-Jacques en 1928, au dôme des Invalides en 1937 ils ont montré que dans la science d’assembler le bois pour les travaux hauturiers le progrès du métier était incessant. La charpente gracile des Invalides a épousé les lignes architecturales avec un cubage de bois ou pas une pièce n'est superflue et aucune ne manque. Toutes les lignes de force sont assurées, tous les points d’appui établis. Le travail d esprit pour parvenir à cette simplicité est une œuvre de grande école éduquée par des siècles de réflexion et des immensités de risque. Le Trait des vieux compagnons dont l’enseignement continue dans les cayennes parvient ici à sa perfection pure. Les dimensions sont pensées avec une telle justesse qu’aucune pièce n’est remuée inutilement. Ainsi que dans le chef-d’œuvre compagnonnique des aspirants à la Maîtrise, où chaque partie de 1 œuvre doit se placer à la demande, sans retouche de lime, les bastings calibrés viennent exactement dans leur assemblage. Que ce soit pour la maquette de faîtage de chapelle qui tient dans les mains du compagnon à l'établi, ou pour le revêtement du dôme des Invalides dont l’échafaudage est visible à des kilomètres, la conscience professionnelle atteint la même perfection.

Le chantier d'Exposition est un magnifique chapitre de l’Histoire de la charpente. Le compagnon au largeau bouffant sur ses savates perçées dont la souplesse des semelles sans talon lui permet la marche à pieds prenants, manie à des hauteurs de vertige la masse de dix livres pour enfoncer les boulons d’assemblage. La qualité de l’homme se mesure à ce qu’aucun outil ne tombe. Dans les chantiers sur plan d’eau, pilotis et ponts, outils tombés, outils perdus. Un bon compagnon revient avec tous les siens.

L’ossature de la porte des Pêcheries masquée par les stafteurs fait regretter la beauté aerienne dissimulée par l’enduit. Par l’architecture de charpente le chantier est plus émouvant que l’Exposition achevée, qui cache sous son maquillage l'élégance du travail du bois.

Rien ne tient par le squelette géométrique où chaque pièce est agencée selon les lois éternelles de la vie qui sont l’équilibre et la résistance. Le charpentier doit calculer non pas seulement la pesée du vent sur la face des bois mais sur le revêtement qui les joint et fait voile. C'est le problème du mât du navire. Son emplanture doit tenir contre la bourrasque de grande misaine. Le bois est toujours serviteur de quelque chose. Sous les enduits d'Exposition c'est un seul métier et sa vieille science pour aider bien des illusions et s’humilier derrière elles. Du centre régional des Provinces françaises au Palais Pontifical et au Pavillon du Levant, les formes évocatrices s’appuient sur le travail des charpentiers de Paris.

L’œuvre mince des staffeurs ne résiste pas au poing de l’homme mais tout l’édifice résiste à la foule. La pesée d’un coude peut passer à travers la paroi. Le poids d’une multitude ne fait pas tressaillir l’édifice.

La charpente a constitué toutes les formes où le revêtement n’a qu’à combler les vides pour évoquer le monde entier, l’habitation de toutes les races, l'exercice de tous les métiers.

Les Charpentiers de Paris ont eu à résoudre des problèmes de circulation, de fabrication, d’étalage. Ils ont construit les passerelles du champ de Mars où passaient deux cent mille personnes par jour, le pavillon de la Manufacture nationale de Sèvres où viraient les tours de potier et celui de la Numismatique où tapaient les balanciers de frappe.

Le pavillon des Etats du Levant a été une création complète de la charpente qui lui a constitué non seulement son élévation mais son sol car tout son plan était pris sur la Seine. Il ne tenait au quai que par une charpente de culée. Ses trois travées avançaient sur pilotis en plein courant où tournait la noria, chef-d’œuvre de construction du bois, non pas une pièce d’ illusion mais un outil capable de monter l’eau du Jourdain dans les orangeraies de Palestine.

L’admiration de la foule d’Exposition, soit qu’elle s’adresse, sans lever le visage, à la porte d’entrée du minaret, soit qu’elle guette le muezzin à la terrasse, ne s’établit pas sur le calcul qu’il a fallu pour que tout tienne solidement. Le nom de l’entreprise n’est inscrit sur le bâtiment que pendant les travaux. Quand le drapeau d’achèvement flotte au faîte de l’édifice consolidé dans tous ses joints, l’œuvre des Charpentiers est terminée. Elle ne reprendra qu’au démontage. Les Charpentiers de Paris ont coutume de conserver leurs bois et de ramener à terre tous ce qu’ils ont élevé, au lieu de le vendre aux entrepreneurs de démolition. Le transport du matériel nécessaire aux constructions assurées à l’Exposition 1937 par le chantier de la rue Labrouste, cubait 2.000 camions à 6 tonnes de charge utile, une file de 26 kilomètres plus étendue que la longueur du trajet Paris-Versailles.

Les bois récupérés retournent au chantier qui contient toujours au moins 10.000 m3.

Nettoyés, décloutés, passés aux machines, ils sont triés en valeur de neuf, utilisables en bâtiment, en étais pour échafaudage et
en pièces pour blindages perdus, calages et fouilles dont on ne récupère pas les bois.

Ce qui a été l’Exposition, le chef-d’œuvre de la science architecturale évocatrice des formes du bâtiment de tous les climats et de tous les usages, depuis le palais Pontifical jusqu’au pavillon du Japon redevient le bois en attente dans le chantier compagnonnique.

Une œuvre de plus s’est inscrite à la gloire du travail français et n’a été possible que par la qualité corporative au service du génie architectural.

Si l’Exposition, lieu de gloire de la charpente est une œuvre momentanée, la conscience du charpentier est une création séculaire qui ne se maintient que par l’enseignement de la tradition.

Dans la transformation de l’échelle des valeurs sociales le salaire est en mouvement perpétuel dans sa conjonction avec la justice du prix du Travail. Mais il ne crée pas plus la valeur ouvrière que le devis de l’architecte ne crée la ligne géniale qui trace dans l’air la beauté monumentale. Que les Charpentiers de Paris, association ouvrière, corporation de rite compagnonnique, ajoutent au salaire la participation aux bénéfices est une forme de la justice sociale mais n’accomplit point la perfection du métier qui est dans la tradition enseignée avec amour. La solidité des édifices charpentés bois ou fer est d’abord dans les cours de trait et ensuite dans l’honneur du métier assuré par la pratique du chef-d’œuvre. Pour la sécurité d’assise d’une maison la conscience professionnelle est un matériau plus important que le bois ou le fer. L’œuvre du compagnonnage n’est pas à bout de course dans le travail français. C’est dans l’intérêt public que le chantier de la rue Labrouste en demeure le Conservatoire, naguère par le recrutement des seuls ouvriers du rite Soubise, compagnons de la Villette, aujourd’hui par l’embauchage des syndiqués de toute tendance, ce qui prouve l’abolition des vieilles rivalités ouvrières, une amplitude de l’esprit social, mais toujours dans la tradition de l’œuvre parfaite qui ne renonce jamais à sa gloire commencée à la construction du temple biblique, 1000 ans avant que les Charpentiers de Ponce Pilate n’aient assemblé les deux bastings pour former la croix d’où le soupir de ]ésus mourant devait depuis la colline du Golgotha s’entendre pendant l’Eternité dans le monde entier.

Le Métier est une personne morale qui domine l’individu et bâtit la Société. La loi la plus importante est celle de la probité du travail.

Les héritiers de l’esprit corporatif compagnonnique sont, dans la charpente, non seulement les artisans de la sécurité publique par la solidité des édifices savamment montés, mais dans la morale du Travail français, les conservateurs d’une des plus pures noblesses de l’esprit humain : l’amour du métier.



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