Les reliures de livres par MM. Marcus Ward et Cie

Paris 1867 - Arts, design, fashion, shows
Avatar du membre
worldfairs
Site Admin
Messages : 10916
Enregistré le : 21 juin 2004 09:41 pm
Localisation : illkirch
Contact :

Les reliures de livres par MM. Marcus Ward et Cie

Message par worldfairs »

Texte et illustrations de "Les merveilles de l'Exposition de Universelle de 1867"

Dans les premiers siècles de la chrétienté, lorsque les lettres se furent réfugiées sous le toit hospitalier du monastère, l’art de l’enluminure fut pratiqué avec ardeur par les moines, et atteignit en Irlande à un haut degré de perfection. Il existe encore plusieurs monuments de ce genre qui témoignent du talent extraordinaire de ces anciens Celtes et de la grande valeur artistique de l’ornementation admirable qu’ils introduisaient avec tant de profusion dans les textes sacres. Des productions de cet ancien art celtique se trouvent dans plusieurs collections à l’étranger où elles ont été apportées par les nombreux étudiants qui naguère arrivaient en Irlande de tous les coins de l’Europe.

La guerre, en détruisant, en Irlande, cette civilisation primitive, fit disparaître avec elle la littérature et les arts du pays où ils avaient fleuri.

MM. Marcus Ward et Cie, de Belfast, ont eu l’ambition de faire renaître en Irlande cet art charmant, en l’appropriant aux besoins et aux goûts de ce siècle. Après avoir consacré à l’étude de cette matière dix années de leur vie, ils ont réussi à introduire dans leurs dessins l’esprit qui caractérise les oeuvres des anciens artistes, tout en se conformant dans l’ornementation, dans les figures et dans les paysages aux progrès accomplis dans l’art du dessin depuis le moyen âge.

Reliure de l'adresse présentée au Prince de Galles par les habitants de Belfast exécutée par Marcus Ward et Cie, de Belfast
Reliure de l'adresse présentée au Prince de Galles par les habitants de Belfast exécutée par Marcus Ward et Cie, de Belfast

MM. Marcus Ward, qui ont exposé à Paris dans les classes VII, VIII et XXVI, maroquinerie, reliure et enluminure, qui ont obtenu du jury international trois médailles, les plus hautes récompenses accordées à la Grande-Bretagne pour les produits de ce genre, et qui ont été les seuls triplement récompensés, appliquent à leur maroquinerie le même goût artistique et le même soin qu’à leurs enluminures. Ils produisent aussi du papier de linge irlandais et des livres de comptes qui, récompensés aux précédentes exhibitions de Londres et de Dublin, ont aussi été remarqués à Paris.

Leurs mosaïques en cuir se recommandent plutôt par leur qualité supérieure et leur fini que par la nouveauté de la forme. Tous les dessins et ornements en métal ont été inventés par eux-mêmes. Ils fabriquent en quantités énormes, pour la Grande-Bretagne et l’Amérique, des boites à dépêches et des bureaux de voyage, garnis de soie et de maroquin, des nécessaires de touriste, des portefeuilles de toutes sortes, des porte-monnaie, étuis à cigares, albums, porte-lettres, des écritoires de dames, des écrins, des papeteries, etc.

Cette immense maison irlandaise, où l’on n’emploie guère que des Irlandais, a son siège principal, avons-nous dit, à Belfast ; mais elle a aussi un établissement à Dublin et un autre à Londres.

Quoi qu’il en soit, ce que nous en disons n’a pour objet que de bien montrer l’ensemble des travaux de ceux dont nous allons étudier spécialement certains produits, les enluminures et les reliures.

Reliure d'un volume présenté à Sir B. L. Guinness, exécutée par Marcus Ward et Cie, de Belfast
Reliure d'un volume présenté à Sir B. L. Guinness, exécutée par Marcus Ward et Cie, de Belfast

Nous terminerons ce préambule en faisant remarquer combien doivent être profitables à la qualité et aux mérites artistiques de leurs productions courantes, les hautes études, les connaissances élevées et les soins particuliers qu’exigent de ces honorables fabricants les produits d’importance supérieure qui font leur gloire. Qui fabrique de petites choses peut n’être ni apte, ni outillé pour en produire de grandes. Mais qui fait des œuvres d’art industriel du premier ordre ne peut pas donner une production courante qui soit médiocre.

MM. Ward ont trouvé un débouché moderne pour les ouvrages de luxe, pour les volumes de vélin enluminés et magnifiquement reliés.

Ils ont eu l’idée de faire substituer des ouvrages de ce genre aux simples feuilles de vélin sur lequel d’ordinaire « les adresses » étaient consignées, — nous entendons par adresses, ces témoignages de considération et d’affection que, dans l’aristocratique Angleterre, donnent constamment des villes, des corporations, etc., à la reine, aux princes, à leurs chefs, à d’autres villes et à d'autres corporations, que donnent des administrés à un magistrat, les fermiers à leur seigneur, à sa majorité, à son mariage, à la naissance de son fils, au mariage de ses enfants, etc.

Et c’est peut-être beaucoup grâce à l’influence de M. Ward et surtout au mérite de ses volumes d’adresses, que l’usage s’en est tellement répandu qu'il est devenu presque universel chez nos voisins.

Ce sont des œuvres de ce genre que nous allons étudier et dont nous donnons des échantillons, sous le rapport de la richesse intérieure et de la reliure.

Reliure d'un volume présenté à Sir B. L. Guinness, exécutée par Marcus Ward et Cie, de Belfast
Reliure d'un volume présenté à Sir B. L. Guinness, exécutée par Marcus Ward et Cie, de Belfast

La première reliure est celle du livre d’adresse présenté à S. A. R. le prince de Galles par la ville de Belfast, à l'occasion de son mariage avec la princesse Alexandra de Danemark.

La deuxième est celle de l’adresse de la ville de Dublin à sir B. L. Guinness, baronnet, membre du Parlement ; et la troisième, de l’adresse.du doyen et du chapitre de la cathédrale de Saint-Patrick, en la même cité, au même sir B. Guinness, en témoignage de leur reconnaissance envers ce grand bienfaiteur qui a seul, et à ses frais, restauré cette cathédrale.

La quatrième est celle de l’adresse présentée à M. lier, esquire, membre du Parlement, par ses tenanciers.

Nous avons ouvert ces beaux volumes et nous reproduisons aussi la première page de l’adresse au prince de Galles, la première page d’une adresse à celui de l’Ecosse : un lion de gueules sur champ d’or; eu bas, l'Irlande : une lyre sur fond d’azur; enfin, le Danemark : trois lions de sable sur champ d argent. Au milieu de la reliure sont la couronne et les trois plumes d autruche des princes de Galles, avec la devise galloise : Ich dien.

On remarquera certainement l’harmonie de cette composition, et surtout comme elle est bien plane, bien à-plat, comme on dit.

Les fermoirs et les filets de bordure sont des plus soignés et des plus distingués .

Reliures des deux volumes présentés a sir B. Guinness. — Ils contiennent des illustrations relatives à l’histoire du christianisme en Irlande, à la vie de saint Patrick, à l’histoire des chevaliers de Saint-Patrick et à celle de la cathédrale depuis sa fondation jusqu’à sa restauration.

La première de ces reliures ne se présente pas moins bien que les précédentes. Les bordures et encadrements sont du meilleur effet, ainsi que les fleurons et les frises qui les complètent. L’ornementation est en somme riche et sévère. Le blason du milieu et les rinceaux bizarres qui lui servent de supports sont d’un aspect très-original. Ce qui est le plus doux à l’œil dans cette composition, c’est l’ovale noir du milieu. Nous signalons aussi les diverses valeurs de ton des champs compris entre les différents encadrements : le plus clair est celui du centre; le plus foncé celui du bord.

La seconde, plus simple de lignes, est fort riche de fins détails. Toutes les lignes qui s’entrecoupent sur la croix, celles qui courent sur les fleurons qui terminent les quatre bras de cette croix, les dessins dentelés sur les bordures, ceux des petits caissons qui remplissent les quatre angles, surtout les ravissants petits branchages qui étalent sur le fond principal de si jolies fleurettes, tout cela est exquis de grâce. Il faut aussi remarquer L’heureuse combinaison des à-plat et des reliefs, et surtout des biseaux superposés.

Reliure du volume présenté à D. S. Ker, esquire, membre du Parlement, par ses tenanciers. — Ici le motif de l’ornementation du fond est moins sévère, plus gai : c’est un entre-croisement de lignes noires et de lignes blanches. La division du tableau est du reste très-heureuse. Au centre, un médaillon portant les armoiries des Ker, de gueules à un chevron d’argent portant trois étoiles de gueules. De l’encadrement de ce médaillon partent quatre croisillons qui vont se résoudre en un châssis de même couleur (nous pouvons dire un châssis, car l’aspect général est celui d’une fenêtre). Les divisions de cette fenêtre sont bordées en dedans d’une dentelure foncée. Au dehors, de doubles baguettes noires bordent un petit motif de décor très-fin et gracieux.

Toutes ces reliures ont un caractère d’exécution sérieuse, soignée et solide et sont d’un faire précis qui appartient à la fois à de grands industriels et à des Anglais.

Ouvrons maintenant ces volumes et voyons si Tin rieur répond à l'extérieur.

Une page du livre offert au Prince de Galles par les habitants de Belfast, par Marcus Ward et Cie, de Belfast
Une page du livre offert au Prince de Galles par les habitants de Belfast, par Marcus Ward et Cie, de Belfast

Une page du livre du prince de Galles. — En langue gothique sont écrits ces mots :
« Plaise à Votre Altesse Royale.
« Nous, les habitants de Belfast, vous prions de nous permettre de saluer Votre Altesse Royale avec les sentiments du devoir, de la fidélité et de rattachement, et de nous unir dans les félicitations avec lesquelles, des profondeurs de son grand cœur, l’Empire tout entier célèbre votre hymen...»

Les lettres majuscules du meilleur style et du plus riche modèle, la beauté des types ordinaires, la grâce des légères fleurs qui les accompagnent *ans les rendre confus, forment de cette page un chef-d’œuvre.

Mais c’est surtout la bordure qui est merveilleuse. La décrire en détail serait trop long, et d’ailleurs notre gravure la fera mieux apprécier que tous les commentaires.

Les enluminures très-riches de ton sont d’un fini et d’un goût parfait, et nous regrettons de ne pouvoir les reproduire.

Une page d'un des volumes offerts au comte de Hillsborough par les tenanciers de la terre de Newry, exécutée par Marcus Ward et Cie, de Belfast
Une page d'un des volumes offerts au comte de Hillsborough par les tenanciers de la terre de Newry, exécutée par Marcus Ward et Cie, de Belfast

En haut, sur la banderole se détachent trois A enlacés, initiales d’Albert et d’Alexandra. Le médaillon de l’angle contient saint Georges terrassant le dragon. Au milieu des fleurs qui sont au-dessous, est le blason de la Grande-Bretagne : aux un et quatre d’Angleterre, au deux d’Ecosse et au trois d’Irlande. La peinture du bas représente la cérémonie nuptiale du prince et de la princesse : derrière l’un des époux est la figure allégorique de la Grande-Bretagne, derrière l’autre celle du Danemark. Cette petite scène a été admirablement bien traitée et l’effet en est charmant.

Une page d'un des volumes offerts au comte de Hillsborough par les tenanciers du marquis de Downshire.—Ces volumes, au nombre de huit, représentaient les localités mentionnées dans le texte avec les armoiries de la terre qui les offrait. Le genre d’illustration de chaque volume était différent.

Nous traduisons :
« Adresse au bien honorable le comte de Hillsborough de la part des tenanciers de la terre de Newry appartenant au très-honorable marquis de Downshire. »

Une page d'un volume offert à Sir B. L. Guinness, par le Une page d'un des volumes offerts au comte de Hillsborough par les tenanciers de la terre de Newry, exécutée par Marcus Ward et Cie, de Belfast
Une page d'un volume offert à Sir B. L. Guinness, par le Une page d'un des volumes offerts au comte de Hillsborough par les tenanciers de la terre de Newry, exécutée par Marcus Ward et Cie, de Belfast

Ici ce qu’il faut admirer c’est la variété et la richesse des lettres, en même temps que la splendeur efflorescente des rinceaux. Rien de plus riche ni de plus vigoureux que ces belles feuilles et ces belles nervures. La vue du comté qui est à l’angle de gauche est également fort belle.

Deux pages des volumes présentés a sir B. Guinness. —La première aussi nous offre un motif de rinceaux et de dessins d’ornements, mais dans un tout autre style que la précédente ; c’est plutôt un dessin de sculpture et de bas-relief qu’un motif de fleurs de fantaisie.

On y lit la réponse de sir B. Guinness au doyen et au chapitre de Saint-Patrick :
« Réponse :
« Révérend et chers Messieurs, c’est avec une joie peu ordinaire que je reçois l’adresse que me présentent le doyen et le chapitre de Saint-Patrick. Vous avez confié il y a quelques années à mes soins votre cathédrale sacrée que le temps a rendue si vénérable. Vous l’avez fait avec la généreuse conviction que mes plus grands efforts seraient consacrés à en assurer la conservation. Je vous
remercie de cette confiance....»

Une page d'unvolume offert à Sir B. L. Guinness, par le doyen et le chapitre de Saint-Patrick, à Dublin, exécutée par Marcus Ward et Cie, de Belfast Marcus Ward et Cie, de Belfast
Une page d'unvolume offert à Sir B. L. Guinness, par le doyen et le chapitre de Saint-Patrick, à Dublin, exécutée par Marcus Ward et Cie, de Belfast Marcus Ward et Cie, de Belfast

L’autre page nous montre dans un cadre étincelant, formé par les blasons des diverses grandes familles, ou des comtés ou des cités de Grande-Bretagne, l’intérieur de la cathédrale le jour de la réouverture.

Aux considérations générales que nous avons émises sur cette belle industrie, sur la remarquable fabrication et le génie artistique de MM. Ward, aux détails spéciaux aux pièces que nous avons analysées, il ne nous reste guère à ajouter que deux mots sur les mérites colorants de ces œuvres. Il nous suffira de dire que le coloris est éclatant, riche et harmonieux et que l’or et l’argent s’y allient avec un charme magique.

Quant aux reliures, les tons les plus francs, aussi bien que les moins sonores, sont unis par un art supérieur. Ainsi dans celle des volumes du prince de Galles, le fond est blanc et rouge (couleurs de la princesse de Danemark) et la bordure qui relie les quatre blasons est une guirlande de trèfles en vert et en or. Les gardes sont en popeline violette et sont des morceaux de la robe que portait la princesse Alexandra lorsqu’elle fit son entrée à Londres.



Retourner vers « Paris 1867 - Arts, design, mode, spectacles »