Couverture de missel, par Hunt et Roskell

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worldfairs
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Couverture de missel, par Hunt et Roskell

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Texte et illustrations de "Les merveilles de l'Exposition de Universelle de 1867"

Nous pouvons le dire hautement et en tirer gloire, maintenant que les Anglais sont bien près d’être, par eux-mêmes seuls, nos égaux en matière d’orfèvrerie : le niveau assez élevé auquel ils se sont longtemps tenus de 1840 à 1853 environ dépendait de ce que leurs modèles étaient l’œuvre d’artistes français. Dans la plupart des productions qui rentrent dans le domaine de ce qu’on appelle l’art industriel, on pouvait à cette époque reconnaître la marque de notre intervention, de notre génie, de notre esprit, de notre goût et de notre élégance. A vrai dire, nos voisins n’en faisaient pas un secret, et lorsque, en 1851, à la première Exposition universelle, nous-mêmes nous nous émerveillions de trouver en Angleterre tant de qualités artistiques que nous ne nous attendions pas y voir, on nous répondait en souriant : « La vérité est que cette maison emploie des artistes français. » Et il en était ainsi de l’orfèvrerie, de la bijouterie (l’influence italienne se faisait aussi sentir dans cette industrie), de l'ébénisterie, bien lourde encore alors, et des toiles peintes.

Depuis, que s’est-il passé ? Le concours universel de 1851 a troublé les Anglais, et leur infériorité vis-à-vis de nous les a émus ; les progrès qu’ils ont accomplis dans les quatre années suivantes les ont encouragés, et, en 1862, ils se sont très-dignement rapprochés de nous. Et surtout, fait capital, le terrain qu’ils ont gagné en dernier lieu, l’a été presque entièrement avec leurs propres ressources. Les expositions ont donné aux industries artistiques, plus peut-être qu’aux autres, une impulsion vigoureuse en Angleterre. On s’est préoccupé de fonder des maisons et des collections contenant les plus beaux modèles que le monde ancien, moyen ou moderne ait produits; on a créé un nombre énorme d’écoles de dessin ; on a fait des livres, des cours, des conférences, des tournées; et, au bout d’un petit nombre d’années, une génération de jeunes et distingués artistes indigènes s’est trouvée toute formée et tout armée en même temps que le goût des chefs d’établissement devenait tout à fait sûr et que celui du public s’épurait. On a, de l’autre côté de la Manche, mis à profit nos leçons, et l’on s’est organisé et outillé de façon à faire aussi bien que nous.

Au nombre des artistes français qui ont le plus contribué à cette heureuse transformation du goût anglais (transformation dont bien loin d’être jaloux nous nous félicitons, et d’autant plus que nous y voyons un lien, une communion de plus entre nous et le grand peuple dont nous sommes aujourd’hui si peu séparés), — il faut citer M. Antoine Vechte, l’éminent auteur de tant de pièces d’orfèvrerie si admirables de composition, de style et d’exécution qu’on ne craint pas de les rapprocher des œuvres des maîtres de la Renaissance.

M. Antoine Vechte se lia en 1840 avec M. Hunt, de la célèbre maison Hunt et Roskell de Londres, qui lui commanda alors le vase des Titans qui fut exposé à Paris en 1855. En 1850, M. Hunt, poursuivant l’idée de développer le côté artistique de l’éducation de ses élèves, fit à M. Vechte la proposition d’un engagement permanent à appointements fixes tels que l’artiste put les accepter immédiatement. C’est ainsi que pendant douze ans il travailla à la fabrique de MM. Hunt et Roskell et produisit plus d’une pièce bien connue des amis de l’art en France et en Angleterre. Après douze années de cet exil volontaire, M. Vechte sentit le besoin devenir se reposer en France, et surtout s’y retremper dans ce milieu qui l’avait formé et dont à la longue il aurait peut-être pu craindre de ne se plus sentir imprégné, et il se sépara non sans regrets réciproques de ceux auxquels son travail et son talent avaient été si longtemps associés. Mais il n’a pas cessé de leur fournir des modèles.

Couverture de missel et platine repoussé, par Hunt et Roskell (médaille d'or)
Couverture de missel et platine repoussé, par Hunt et Roskell (médaille d'or)

De ce nombre est la couverture de Missel en platine repoussé que nous donnons ici.

Le choix que l’on a fait de ce métal pur, résistant et comme incorruptible, nous paraît heureux. Si le platine a du offrir au sculpteur et au ciseleur plus de difficultés que ne l’eût fait l’argent, par cela même s'expliquent la netteté des reliefs, des lignes, des détails, et la fermeté générale de la composition.
Oui, il faut le reconnaître, les statues et les bas-reliefs à figures en argent ne sont pas exempts d’une certaine mollesse.

Le sujet représenté par Vechte est l'Assomption de la Vierge. La mère de Dieu debout sur un nuage, foulant aux pieds le serpent, est portée par des anges et des chérubins, ou plutôt elle est accompagnée par eux. Les uns l’adorent, d’autres la célèbrent sur le luth, un troisième l’encense ; au-dessus de sa tête, deux chérubins portent une couronne et un voile.

Ce bas-relief d’une belle ordonnance est en forme d’ovale ; un cordon d’anges plus petits l’entoure. Dans une zone plus large, en forme de losange, de riches arabesques et deux anges de grandes dimensions forment un ensemble très-décoratif que complètent au sommet une couronne ducale surmontant le blason de Berry, d’azur semé de fleurs de lis d’or, et en bas une couronne ducale surmontant le blason de Savoie, de gueules à une croix d’argent. On trouvera plus loin l’explication de la présence de ces écussons. Dans les quatre angles du tableau sont assis les Evangélistes.

L’harmonie de cette belle page est serrée et pure. Le relief le plus élevé appartient naturellement à la figure de la Vierge, puis, décroissant graduellement, les saillies reparaissent aux quatre coins. C’est aussi une œuvre de style, et le sentiment chrétien s’y retrouve touchant et doux. Les Apôtres ont de leur côté des têtes de penseurs inspirés.

L’exécution est pure et délicate et il n’est pas un détail qui n’ait été soigné avec amour.

Ce chef-d’œuvre a été exécuté pour M. le duc d’Aumale, à qui son immense fortune permet de charmer les loisirs de l’exil par l’acquisition de ces objets précieux qu’un riche souverain peut seul posséder. Les armoiries du haut sont celles du duc de Berry, l’un des ancêtres du duc, qui vers l’année 1390 a commencé l’ornementation de ce Missel. Ce livre merveilleux a été depuis enluminé par de célèbres artistes français, flamands et italiens jusqu’au milieu du quinzième siècle, époque vers laquelle Jeanne de Savoie, petite-fille du duc, chargea un Français de l’achever.



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