Zinc d'art par Blot et Drouard

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worldfairs
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Zinc d'art par Blot et Drouard

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Texte et illustrations de "Les merveilles de l'Exposition de Universelle de 1867"

Rien n’est plus difficile à faire accepter qu’un progrès. La routine est chose naturelle à l’homme, elle est tentante pour sa faiblesse et pour sa paresse. Aussi conçoit-on, à la rigueur, que lorsqu’elle est soutenue par des intérêts qu’une innovation menace, elle résiste avec ténacité. Ainsi s’explique l’allégation de tant de motifs naïfs et risibles qui se dressent devant les plus belles découvertes pour les étouffer.

Parmi tous les arguments émis contre les diverses créations du genre humain, nous ne pouvons nous empêcher de citer celui qu’on a opposé à l’invention de l’imprimerie. On a dit qu’on ne pouvait tolérer la création d’une industrie qui ruinerait celle des copistes! De nos jours, en 1823, une pétition adressée à la chambre des députés demanda « la prohibition de l’usage du gaz hydrogène en France, à cause du tort qui en résultait pour les négociants, les fabricants d’huile et les cultivateurs de graines oléagineuses. Enfin, aujourd’hui même, en 1868, on en est encore à discuter, dans nous ne savons quel congrès démagogique, l’utilité, les avantages et la légitimité des machines !

Mais, soit : c’est la loi; en ce qui concerne les inventions qui doivent nécessairement produire une crise, nous admettons ces résistances. Où nous ne les comprenons pas, c’est en présence d’une industrie qui, sans nuire à personne, répond à un besoin qui avant elle ne pouvait être satisfait.

Telle est l’industrie du zinc d’art.

Le bronze est cher, le zinc est bon marché. Le zinc met à la portée de tout le monde des œuvres d’art, qui sans lui seraient absolument interdites aux personnes qui sont dans une situation modeste. N’y a-t-il pas là un service immense rendu à la masse du public? Le domaine de l’art ne se trouve-t-il pas par là étendu à des régions qui lui étaient fermées? L’industrie du zinc est un des meilleurs agents de la popularisation, et de la démocratisation de l’art (qu’on nous passe ce mot barbare). Et les conséquences de ce bienfait sont considérables et nombreuses. Nous n’exagérons rien en disant qu'elles sont morales et sociales. L’art adoucit les mœurs en formant le goût, il donne du charme au foyer et invite à y rester.

Avec ceux qui contesteraient ces prémisses, nous n’avons pas à discuter.

Si toutefois on vient nous dire : «Mais êtes-vous bien sûr que le zinc rende service à l’art? Ne croyez-vous pas au contraire, qu’en répandant dans la foule des œuvres d’une qualité imparfaite, inférieure, il propage au contraire le mauvais goût, qui est pire que l’absence de goût ?» A cette question sérieuse nous devons une réponse.

Nous le reconnaissons, le bronze est supérieur au zinc. Et à ceux qui n’ont pas besoin de compter, nous conseillerons de préférence l’acquisition d’objets en bronze, tant à cause de la beauté que de la durabilité de la matière. Mais aux personnes moins favorisées du sort, nous dirons sans hésiter : « Prenez du zinc, et il vous donnera en somme toutes les jouissances que l’art peut procurer. Aujourd’hui le choix des modèles et la perfection de l’exécution ne laissent rien a désirer. »

Il faut dire qu’il a fallu à MM. Blot et Drouard vingt-deux ans de constance : leurs travaux remontent à l’origine de l’industrie du zinc, à l’époque où l’on
imagina de couler le zinc dans un moule en cuivre, procédé sur lequel repose toute l’industrie du bronze d’imitation. En 1862, ils exposaient déjà à Londres, avec quelques autres de leurs confrères, des produits supérieurs par leur distinction et leur finesse et dont le succès ne contribua pas peu à faire accueillir du public le bronze d’imitation.

Statue et coupe style grec, par Blot et Drouard
Statue et coupe style grec, par Blot et Drouard

La pièce que nous avons gravée donnera une excellente idée des zincs d’art de ces exposants. C’est une grande coupe, presque une vasque, en agate, supportée par une statue grecque sur un pied à trois griffes, en bronze (imitation) vert antique. Nous le répétons, la netteté des détails et la pureté des lignes sont parfaites. Quant au sujet, qui est dû à l’un de nos bons sculpteurs, il est d’un style excellent et même sévère. La figure et les ornements semblent appartenir à cette époque de l’art grec où, arrivé à son plein développement, il avait encore conservé quelque chose de la fermeté archaïque.

Il en est ainsi du moins pour certaines productions, pour celles des fabricants qui, par leur sentiment artistique et leur amour de l’art, par leur vues élevées et, disons-le hautement, désintéressées, sont parvenus, à force de courage, de persévérance et de recherches, à faire d’une industrie fort vulgaire à l’origine, une industrie incontestablement et purement artistique.

Au début en effet, il y a de vingt à vingt-cinq ans, on ne faisait en zinc que des petits sujets grossiers, bons à mettre avec des pendules de pacotille dans des chambres d’auberge. Nous sommes bien loin aujourd’hui de cet état de choses.

Aujourd’hui, les plus beaux modèles de l’antiquité grecque ou pompéienne, de la Renaissance et des derniers siècles, figurent dans le répertoire de l’industrie qui nous occupe. Encore ne faut-il pas oublier tant de créations charmantes que nos artistes ont mises au monde, spécialement en vue du commerce. Que d’œuvres gracieuses, qui sont comme la menue monnaie du talent de nos maîtres ! Et c’est encore là un des bons côtés de cette multiplication des objets d’art, du besoin qu’elle fait grandir en le satisfaisant : aujourd’hui les meilleurs de nos sculpteurs trouvent un débouché nouveau et vaste.

Mais ce n’est pas assez d’avoir de bons modèles, il faut qu’ils soient reproduits avec fidélité, respectés dans leur forme, dans leurs moindres détails, comme dans leur style, dans leur caractère, dans leur tournure, dans leur esprit, dans leur physionomie, dans leur couleur. Il faut en un mot que l’oeuvre ne soit pas une copie glacée, mais une répétition vivante, qui ait la vie du premier original lorsqu’il est sorti parachevé des mains de l’auteur.

C’est à cette perfection que l’on est enfin parvenu. Du moins tels sont les résultats qu’ont obtenus deux fabricants dont le rapport du jury international a placé la maison à la tête de celles qui ont le plus contribué à l’accomplissement des progrès réalisés dans leur industrie, MM. Blot et Drouard, qui ont obtenu à l’Exposition universelle de 1867 la médaille d’argent, la plus haute récompense qui ait été accordée au zinc.

Nous avons examiné avec la plus grande attention les diverses productions de MM. Blot et Drouard. Elles nous ont paru se caractériser d’abord par un choix de modèles dirigé par le goût le plus éclairé. A côté d’œuvres qui s’adressent à tout le monde, nous avons remarqué notamment des statuettes et des vases de style antique auxquels un archéologue exigeant n’aurait rien trouvé à redire au point de vue de l’exactitude, et des œuvres de la Renaissance auxquelles rien ne manquait de la grâce des originaux. Parmi les contemporains aussi nous avons reconnu le faire de nos meilleurs artistes. Pour l’exécution elle est hors ligne. Point de détails négligés; surtout point de lignes pesantes et molles. Partout, au contraire, de la finesse, de la pureté et un fini irréprochable. Ici, de petits bas-reliefs s’enlèvent nettement sur le fond; là, une petite frise à relief doux court le long de la panse d’un vase, vive et franche; ailleurs, c’est un lierre qui, malgré sa faible saillie, se dessine avec clarté. On le sait, l’une des grandes difficultés que le fabricant de zinc a à vaincre, et l’un des principaux griefs que l’on a eus contre lui, c’est la mollesse, l’empâtement. Eh bien! à force de patience, MM. Blot et Drouard sont arrivés à découvrir un moyen de surmonter cette difficulté d’une façon absolue. En résumé, ils sont arrivés à ce point que souvent il serait impossible de distinguer un de leurs zincs d’un bronze. Nous citerons sous ce rapport leurs oiseaux : le fini du plumage est tel qu’il semble être dû à une belle fonte complétée par une habile ciselure (ces zincs sont pourtant vierges de toute réparure).

Si MM. Blot et Drouard n’ont point encore atteint à l’extrême perfection à laquelle ils parviendront certainement en persévérant dans la voie qu’ils se sont tracée, du moins les résultats qu’ils ont obtenus comme finesse d’exécution et pureté de style sont remarquables et dignes d’éloges. Ajoutons en terminant qu’ils ont fait disparaître le grand défaut que l’on reprochait au zinc d’art : celui d’être fragile.



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