Hamon

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worldfairs
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Hamon

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Texte de "L'Exposition Universelle de 1867 Illustrée"

L'Aurore de Hamon
L'Aurore de Hamon

Parmi les artistes contemporains, il en est peu qui soient aussi sympathiques au public que celui dont nous reproduisons aujourd’hui un des plus charmants tableaux. Louis Hamon est un de ces privilégiés qui sont bien vus de tout le monde : il est aimé de ceux-là même qui le critiquent, et il charme ceux qui lui résistent.

Ce fut une joie pour tout ce qui aime la grâce, l’esprit, l’originalité, la naïveté malicieuse, que l’éclosion de ce talent qui n’avait point d’analogie dans l’art contemporain. Une corde nouvelle était ajoutée à la lyre, ou plutôt une nouvelle couleur à la palette.

Il sortait avec Gérôme de l’atelier d’un des hommes les plus distingués de notre époque, de l’auteur de ce ravissant tableau, une des perles du Luxembourg. « Les illusions perdues. »

J’ai nommé M. Gleyre.

Tous deux débutèrent presque en même temps et, comme il arrive toujours en pareil cas, ils furent placés l’un en face de l’autre, dans une sorte d’antagonisme, qu’ils n’avaient pas cherché; il semblait que l’on ne pût parler de celui-ci sans penser tout aussitôt à celui-là. L’étude finissait toujours par un parallèle. Déjà—si jeunes qu’ils fusant — on voyait en eux des chefs d’écoles, et ils avaient assez de talent pour
justifier le pronostic.

Depuis lors, chacun a suivi sa voie — des voies divergentes — chaque pas qu’ils ont fait les a écartés l’un de l’autre. Esprit plus net et plus positif, intelligence sagace et froide, servie par une habileté de main singulière, Gérôme a serré de plus près la réalité, et il est arrivé à de rares effets de précision minutieuse. Hamon, tout au contraire, emporté par le vif courant d’une imagination riche et féconde, — et aussi, pourquoi ne pas le dire?— un peu vagabonde — n’a pas créé seulement sa manière, il a inventé jusqu’aux sujets qu’il traite. Il est le peintre d’un monde à part, dans lequel il nous fait entrer avec lui, monde de fantaisie, où nous ne retrouvons plus les réalités de la vie quotidienne, où nous voyons des êtres à part, différents de ceux qui s’agitent autour de nous; monde du rêve, de l’illusion, parfois aussi de l’hallucination; fantômes plus que réalités., aperçus par un œil visionnaire. Ce n’est pas nous qui incriminerons jamais ce système. L’Art, pour nous n’est point la copie et la reproduction de la nature, il en est l’interprétation— interprétation intelligente, spontanée et libre, dans laquelle chaque artiste met le cachet de sa personnalité. Peu d’œuvres furent jamais plus personnelles que celles d’Hamon. Aussi, à première vue et entre mille le reconnaît-on tout d’abord — et je ne parle pas ici seulement des dilettanti de la peinture, des fins connaisseurs, vite familiarisés avec un genre et une manière, — non, je parle de tout le monde, de monsieur le premier venu. — Que de fois n’avons-nous point vu, en parcourant nos galeries d’expo-position, un bourgeois endimanché, ou un provincial authentique s’arrêter tout à coup, et planté sur sa canne à pomme d’or, dire à sa tendre moitié :

Tiens! Voilà un Hamon !

Hamon est populaire — populaire et original ! Ne serait-ce point là, au besoin, la part de deux? A mes yeux — et pour mon âme,— un des plus grands charmes de cette peinture,— je crois l’avoir dit tout à l’heure — c’est qu’elle m’emporte loin du monde où nous vivons, c’est qu’elle me fait oublier les tristesses, les vulgarités, les ennuis de l’existence; ce pinceau est une baguette magique, douée d’un pouvoir d’évocation, auquel rien ne résiste, et qui fait apparaître devant nous toute une création à part, recevant de lui sa vie. La peinture de Hamon a pour moi je ne sais quel étrange effet d’apaisement. Pour trouver une sensation pareille il faut que je le demande à un autre art. Cette sensation, je l’éprouve quelquefois, par exemple, en écoutant certains maîtres de la musique bouffe — non bouffonne, — de Cimarosa, de Bellini ou de Paesiello. — En écoutant ceux-ci, en regardant celui-là, c’est la même sérénité profonde et calme qui, peu à peu, gagne mon âme et la remplit. Il n’est pas jusqu’à la couleur des tableaux de Hamon qui ne contribue à augmenter encore cette impression. On sent que le jour qui les éclaire n’est pas fait pour des yeux mortels; c’est une sorte de lumière élyséenne versée par des astres cléments sur des paysages que l’on a rêvés, — mais que l’on n’a pas vus. Les personnages sont entourés, enveloppés, caressés de je ne sais quelle atmosphère plus chaude que la nôtre; cette tonalité générale, où dominent les nuances les plus suaves, le bleu, le rose, le gris argenté, réjouit la rétine qui s’épanouit doucement en les contemplant. Des formes un peu vagues, parfois même trop mollement accusées, défaut chez un autre, deviennent ici des qualités complémentaires, qui achèvent l’œuvre dans la donnée où elle a été conçue.

Je sais bien que l’on a reproché à ce rare esprit un peu de recherche et même de préciosité. Mais on en a dit autant des artistes pompéiens, avec lesquels il a plus d’un rapport. — Et ceci ne les empêche pas d’être les maîtres souverains de la grâce et de l’élégance. Les exagérations de la délicatesse ne sont pas précisément les dangers qui nous menacent; nous ne penchons pas de ce côté-là, en peinture plus qu’en littérature, et quand parfois nous rencontrerions sur notre chemin un chercheur trop subtil, ou un raffiné trop exquis, ce ne serait pas un cas pendable.

L’originalité de Hamon, la couleur toute spéciale de ses tableaux, le séparent et l’isolent complètement des œuvres au milieu desquelles on l’expose. Il fait un trou, ou, pour mieux dire, une tache de lumière dans la paroi sur laquelle on le place avec d’autres tableaux aux gammes plus sombres.

Ce n’est pas ainsi qu’il faut le voir. J’ai parfois rêvé d’être riche. Qui ne fait de temps en temps ce rêve-là? Je me réservais alors le plaisir de me faire un petit musée Hamon. Je le meublais dans un style néo-grec, ou, tenez! sans aller si loin, dans ce style Louis XVI, avec lequel son amour un peu conventionnel de la nature, d’une nature arrangée à sa guise, n’est certes pas sans affinité : là, entouré de ses plus aimables toiles, j’oublierais volontiers tout ce dont j’aime à ne me point souvenir.

On n’a pu exposer les œuvres de Hamon, au Champ de Mars, dans les conditions exceptionnelles et peut-être un peu fantaisistes que je semble exiger; mais on a réuni un assez grand nombre de tableaux du même maître, et en les groupant, et les rapprochant très-habilement, on les a fait valoir les uns par les autres. Hamon est un de ceux qui gagneront le plus dans l’opinion publique au grand concours de l’Art en 1867.

L’œil ravi se promène à travers ses toiles. Il parcourt les actes divers de la comédie humaine, interprétée par cette muse souriante, et entre tant de figures aimables, il choisit, pour y revenir et s’y arrêter, celle qui lui plaira davantage.

Ce n’est pas la moins jolie que nous offrons aujourd’hui à nos lecteurs, et elle a l’incontestable avantage d’être éminemment caractéristique de la manière de l’auteur.

C’est une jeune fille, une Hébé, une Aube, une Aurore, tout ce que l’on voudra de plus frais et de plus suave, de plus blond, de de plus rose, de plus vraiment jeune. Elle a soif, cette mignonne, et plutôt que d’aller boire au cabaret du coin, — comme ferait une demoiselle d’Ornans, ou de quelque autre village situé sur les terres de M. Courbet, — elle s’approche d’un convolvulus, et déguste la rosée dans son calice, plus fin que la mousseline d’un verre de Venise, son calice aux bords enroulés, aux teintes argentées, que rehausse un vermillon léger.

Vous voyez le tableau, que la pointe de notre graveur a rendu avec une fidélité photographique. Le motif était ingénieusement trouvé, et il a été rendu avec une véritable habileté de main, et un charme très-réel. Tout en conservant le flou ravissant et l’exquise morbidesse qui est l’apanage reconnu des types caressés par son pinceau, Hamon a su
donner à son personnage une remarquable correction de lignes. La tête est d’une grâce adorable, et c’est un trait d’une pureté enchanteresse qui dessine le contour de ce beau corps d’une jeunesse toute virginale. S’il me fallait, bien malgré moi, signaler quelque desideratum dans cette œuvre aimable, peut-être trouverais-je un peu de lourdeur dans les pieds et dans leurs attaches. Cette jolie buveuse fera ployer la feuille qui la supporte ; elle défoncera le cellier. Une créature si aérienne, qui vit de si peu, n’a pas besoin d’une base aussi large; elle doit voltiger parmi les fleurs sur lesquelles, tempérante et sobre, elle butine sa vie. Le pied est la partie la plus infime de notre être, celle qui nous rattache à la terre et nous plante au sol ; donnez-en donc le moins possible à cette idéalité, — tout juste ce qu’il faut, pour qu’on ne s’aperçoive pas qu’elle en manque.



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