Le Météorographe du P. Secchi

Paris 1867 - Innovations (techniques, transport ...)
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worldfairs
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Le Météorographe du P. Secchi

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Texte de "L'Exposition Universelle de 1867 Illustrée"

meteorographesecchi.jpg

Animer la matière pour la rendre, sous l’action d'une volonté dirigeante, un instrument docile et l’humble serviteur de l'homme, mettre en lutte les agents divers de la nature afin de mieux l’asservir et la dompter, demander aux machines la constance et la régularité de l’effort, et tendre enfin par tous les moyens à transformer le travail en dégageant le corps et en laissant à l’esprit son entière liberté d’action, c’est l’un des caractères particuliers de l’époque où nous vivons. Partout les machines viennent en aide à l’ouvrier. L’industrie leur doit les progrès accomplis, et la science les emploie maintenant pour rendre son œuvre plus facile et assurer le succès de ses recherches. Le grand prix décerné par le jury international au météorographe du P. Secchi, le célèbre directeur de l’observatoire du Collège romain nous en fournirait au besoin une preuve nouvelle.

Empruntant à l’électricité sa puissance merveilleuse, le savant jésuite est parvenu à construire un instrument qui note avec une fidélité que rien ne lasse, toutes les phases du temps et qui, grâce à l’exactitude, à la constance et à la simultanéité des observations, permettra enfin d’obtenir des données sérieuses pour développer ou plutôt créer en quelque sorte la science météorologique encore si arriérée.

La direction et la vitesse du vent, la durée et la quantité de la pluie tombée, la température de l’air et son humidité, la pression atmosphérique sont indiquées à chaque moment sur les deux faces de la machine que représente notre dessin, et viennent se reproduire automatiquement par des traits gradués à l’aide de crayons mis en mouvement par l'électricité. Les observations principales se répètent et se résument sur l une des faces, en sorte que le P. Secchi ouvre un compte courant avec le temps, qui, prenant pour serviteur et pour messager l’électricité, l’envoie inscrire tout ce qui se passe et rédiger le journal de ses vingt-quatre heures. Il en résulte tout d’abord que les observations et les phénomènes mentionnés sont bien réellement l’expression des variations de l’atmosphère, et que le mode adopté préserve des erreurs volontaires ou involontaires dues à l’observateur lui-même, erreurs si fréquentes que les moyennes de plusieurs 'années, sur lesquelles on base ordinairement les raisonnements ou les inductions, étant — par suite de calculs faits sur des observations premières — erronées, ne pouvaient donner aucune certitude.

Les observations ne se bornant pas, en outre, à trois ou quatre.moments de la journée, mais se trouvant marquées à toute minute et avec une continuité parfaite, rien n’échappe, et la moindre perturbation de l’atmosphère est constatée à l’instant même où elle s’opère, soit qu’elle précède ou qu’elle suive des perturbations plus considérables qui peuvent survenir. Enfin — et c’est là l’idée féconde et éminemment pratique du P. Secchi, celle qui doit le plus contribuer à donner une impulsion nouvelle à la science, en rendant facile l’étude comparée des phénomènes météorologiques — les différents enregistreurs sont combinés de manière à ce que tous les crayons marchent de front sur la même tablette, et qu’un coup d’œil suffise pour embrasser les courbes qu’ils tracent, et reconnaître l’accord ou le désaccord qui existe entre les variations simultanées des divers éléments météorologiques.

Le météorographe est donc — pour employer la définition même dont se sert le P. Secchi,— un appareil destiné à enregistrer tous les phénomènes météorologiques, au moyen de courbes graphiques tracées sur des tableaux dont le mouvement est réglé par une horloge. Il a deux faces principales qui servent à des enregistrements différents.

La première face est surmontée d’une horloge et contient un tableau qui enregistre les indications du baromètre, du thermomètre sec, du thermomètre humide, et qui donne de plus l'heure de la pluie. Ce tableau accomplit sa course en deux jours et demi.

Sur la face opposée sont enregistrées la force et la direction du vent ainsi que les indications du termographe métallique; celles relatives au baromètre et à la pluie y sont répétées. La course de ce tableau s’accomplit en dix jours. C’est le résumé écrit de tous les phénomènes atmosphériques qui vient ensuite se classer régulièrement dans des atlas, archives du temps d une sureté incontestable, où les moindres pulsations, s’il est permis de s’exprimer ainsi, sont marquées. Réduites à l’aide du pantographe et. revêtues d’encre lithographique, les courbes sont reproduites sous un petit format en autant d exemplaires qu’il est nécessaire, et l’on pourra de la sorte, lorsque les postes d’observation les plus importants du monde seront pourvus d’appareils enregistreurs du P. Secchi, réunir facilement l’ensemble des documents dont l’étude comparée est indispensable pour éclaircir les points obscurs et faire progresser la science.

L’emploi du météorographe, qui ne peut tarder à se répandre, aura une autre conséquence tout aussi capitale, en obligeant les savants à adopter l’unité de mesure pour les observations météorologiques, en sorte qu’au moment même où la conférence internationale vient de se mettre d accord sur le principe, la science fournit une preuve nouvelle de la nécessité de s’y conformer, si l’on veut arriver à des résultats utiles qui ne peuvent
être obtenus que par la comparaison facile et prompte des observations recueillies dans les stations les plus éloignées.

Le cadre trop restreint qui nous est imposé ne nous permet pas d’entrer dans les détails de la construction de l’instrument, d’expliquer les procédés ingénieux à l’aide desquels la vie et le mouvement sont donnés à l’organisme, et de faire connaître comment les appareils extérieurs qui perçoivent d’abord l'effort du temps, sont mis en communication instantanée avec l'instrument. Nous devons nous borner à enregistrer le jugement prononcé par le grand jury, qui constate que l’appareil du P. Secchi, passé à l étal pratique, puisqu'il fonctionne régulièrement depuis sept années au Collège romain, est le plus complet des appareils présentés jusqu’ici dans le but d’enregistrer automatiquement les phénomènes météorologiques. Le météorographe du savant et modeste jésuite nous donnera sans doute bientôt la connaissance de faits qui se dérobaient jusqu’à présent à l’appréciation des savants, et, en constatant la marche et le mouvement des tempêtes, permettra d’en reconnaître les lois et de les signaler d’avance aux marins. Confuse et incertaine jusqu’ici, la science météorologique ne tardera point à acquérir la fixité qui lui faisait défaut, et pourra réellement enfin prévoir le temps en s’appuyant sur des données sérieuses et des règles précises. Le matelot sera préservé du danger, et au moment du départ, retenu au port par l’avis de la tempête prochaine, non plus, presque au hasard, comme on le fait aujourd’hui, ainsi que le répétait encore dernièrement M. Airy, l’astronome royal de l’observatoire .de Greenwich, mais avec certitude, n’hésitera point à obéir à la voix de la science. Bien de6 existences seront ainsi préservées, et dans sa retraite studieuse, le P. Secchi, même après l’éclatant succès qu’il vient de remporter à l’Exposition universelle, trouvera là, certainement, la meilleure et la plus douce récompense de ses travaux et de ses veilles.



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