Le Raffiné de M. Meissonnier

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worldfairs
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Le Raffiné de M. Meissonnier

Message par worldfairs »

Texte de "L'Exposition Universelle de 1867 Illustrée"

leraffine.jpg

Je ne prétends pas nier le mérite des écoles étrangères qui, pour reconnaître notre hospitalité, ont envoyé leurs statues les plus belles et leurs meilleurs tableaux à l’Exposition universelle, mais chaque visite dans les galeries réservées aux beaux-arts me confirme dans cette opinion que l’école française y maintient sa supériorité.

Cherchez, regardez, comparez, et je ne crois pas que vous échappiez à la contagion de la grâce, de l’expression, de la couleur.

Il est vrai que pour assurer le triomphe de notre école chacun de nos artistes, peintre ou sculpteur, a choisi parmi ses œuvres celles qui donnaient de son talent la preuve la plus éclatante ou la plus délicate, la mesure la plus exacte. Ce sont des fleurs qu'ils cueillaient eux-mêmes dans un bouquet.

Voici, entre beaucoup d’autres, une perle prise Sans l’écrin de M. Meissonnier; elle a des sœurs, et le nombre s’en augmente chaque année pour le plaisir de tous et le renom de notre école.

Nous n’entreprendrons pas aujourd’hui une étude complète sur l’homme et son œuvre ; nous la réservons pour un autre moment ; à cette heure, il nous suffira de parler du Raffiné reproduit par notre gravure.

Le premier regard fait comprendre l’harmonie charmante de cette toile exquise ; un examen plus attentif en fera découvrir toute la délicate perfection. La couleur est ici le vêtement somptueux du dessin, et il y a autant de fines recherches dans les détails que de force et d’expression dans l’ensemble.

Le beau gentilhomme est debout, le visage tourné presque de face, le regard franc, assuré, courageux, un regard à hauteur du regard, le maintien calme, l’attitude Gère. Un large feutre ombrage son front d’où s’échappe en longues boucles une forêt de cheveux, une fine moustache effile ses pointes sur sa lèvre, la royale s’allonge sur son menton. Le large col de guipure s’échancre sur sa poitrine, la haute ceinture de soie s’enroule autour de ses flancs, la manche ouverte de sa veste laisse voir la toile blanche de sa chemise; l’une de ses mains est campée sur sa hanche, de l’autre il soutient un gant de peau. La longue épée, à lourd pommeau ciselé, pend à sa gauche. Il est chaussé de grandes bottes éperonnées.

Il est au bas d’un escalier et il semble continuer sa marche.

Une aventure l’attend, quelque duel peut-être ; peut-être aussi quelque rendez-vous galant dans un château voisin. Sa mine fière colorée d’un grain d’audace autorise toutes les suppositions ; il est en outre d’une époque où les rencontres de toutes sortes ne chômaient pas, les chroniques en savent quelque chose, et le brillant cavalier dont le pinceau de M. Meissonnier a saisi au passage la silhouette élégante appartient certainement à cette élite de gentilshommes qui trouvaient que la guerre et l’amour étaient les seuls passe-temps de la vie.

A son attitude aisée et noble, on devine qu’il est le compagnon de bataille du prince de Condé, l’ami de Mme de Chevreuse, qui sait? peut-être l’un des amoureux de Mme de Longueville. Si ses lèvres expressives s’ouvraient, peut-être, comme autrefois M. le duc de La Rochefoucauld, s’écrieraient-elles :
.... Pour plaire à sas beaux yeux,
J’ai fait la guerre aux rois, je l’eusse faite aux dieux.
Peindre de telles figures, en saisir le caractère et la physionomie, c’est faire de l’histoire.

M. Meissonnier a une place à part dans le domaine de l’art contemporain. Il a la science et l’expression. A ce point de vue son Raffiné est un des plus heureux spécimens de sa manière. Il en a le fini qui s’allie à la vigueur.

On peut se plaindre quelquefois, et non sans raison, de ne plus retrouver parmi nous Rembrandt et Rubens, le Corrège et Velasquez; mais avec M. Meissonnier on aurait mauvaise grâce à se plaindre de n'avoir plus ni Miéris ni Metzu, — et quelque chose de plus.



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