
"Une des grandes attractions de la galerie des Machines est l'exposition de M. Edison, qui occupe deux pavillons entiers , l'un consacré à l'éclairage électrique, l'autre au phonographe, devenu un instrument pratique.
Sur une table sont déposés, avec le phonographe, des manchons de cire très mince, pouvant enregistrer chacun plus de mille mots et les reproduire avec une grande puissance et une grande netteté, et des appareils transmetteurs composés d’un tube en caoutchouc se divisant à son extrémité en deux branches munies d’ampoule de verre, que l’auditeur introduit dans ses oreilles. Des groupes de visiteurs sont assis autour de la table; d’autres groupes, debout entre les barrières, attendent leur tour, pour aller entendre le phonographe s’exprimer dans tous les dialectes connus.
Lorsque l’on veut parler dans le phonographe, on revêt d’un manchon de cire, et non plus d’étain le cylindre métallique qui glisse sur une rainure graduée, on fixe un petit cornet acoustique sur le diaphragme, membrane de métal peu épaisse, mise en mouvement par un mécanisme très simple qu’actionne une pile électrique. On met l’appareil en action; le manchon tourne rapidement; la membrane, impressionnée par les sons , vibre, et l’aiguille dont elle est munie à sa partie inférieure trace dans la cire des séries de points et de traits imperceptibles.
Quand au contraire, on désire recueillir les sons émis à distance par plusieurs personnes, des chanteurs ou des instrumentalistes, on emploie non plus un cornet acoustique, mais un entonnoir proportionné à la masse de sons à emmagasiner, et le tube de caoutchouc dont nous avons parlé set de transmetteur entre le phonographe et l’auditeur.
On place sur le cylindre métallique un des manchons de cire qui ont enregistré les sons : l’appareil est mis en mouvement, et l’aiguille, repassant dans les trous et les traits tracés sur le manchon au fur et à mesure de la réception des sons, les transmet au diaphragme, qui les répercute : c’est l’opération inverse de la précédente et l’appareil répète « le phonogramme » autant de fois qu’on le désire.
Grâce aux perfectionnements apportés par Edison, ce jouet de la veille est devenu un véritable appareil commercial.
Le phonographe reproduit aujourd’hui fidèlement la voix humaine, prononce nettement les diphtongues les plus difficiles, répète tous les bruits, même la musique d’un orchestre. On peut transmettre sa voix par la poste, au moyen du phonogramme.
Nous avons entendu, à l’exposition, des romances chantées plusieurs semaines auparavant dans l’atelier de l’illustre inventeur, et la voix de la cantatrice, ainsi emmagasinée pendant un mois, n’avait rien perdu de sa fraîcheur et de son émotion communicative.
Cet instrument merveilleux parle ainsi toute les langues. Le prince Taëb-bey lui a adressé la parole en arabe, et Mistral en provençal : le phonographe a répété leur conversion avec toutes les inflexions de voix et l’accent de chacun de ses interlocuteurs. M. Edison, regrettant qu’on ne pût se faire une idée de la voix et des intonations de nos hommes célèbres, orateurs, savants ou musiciens, a eu l’idée de conserver des phonogrammes, qui auraient recueilli leurs discours ou leurs chants pour les générations futures. L'institut va s'occuper sans retard d'aménager une sorte de bibliothèque, dans laquelle seront déposés des manchons destinés à enregistrer la voix de ses membres : ce ne sera pas un des moindres prodiges de l'avenir que celui de faire parler les morts.