par worldfairs » 16 sept. 2010 08:51 pm
Voici un texte d'Edouard Beaufils de 1900 qui présente celle nouvelle "attraction" et surtout le ressenti des gens pour cette nouvelle invention.
Il est convenu que toute Exposition universelle digne de ce nom doit, parmi des divertissements et des surprises multiples, offrir au visiteur une « attraction » suprême. En 1889, nous eûmes la Tour Eiffel; en 1900 nous avons le trottoir roulant. La Tour Eiffel n'obtint pas tous les suffrages : les artistes la jugèrent inesthétique et dans une pièce fameuse un poète déclara qu'elle faisait « hausser les épaules » au Mont-Blanc. Plus heureux, le trottoir roulant n'a pas de détracteurs. Tout le monde fait son éloge : il divertit et rend service à la fois, il est dans sa nouveauté une distraction et un moyen de transport; il symbolise merveilleusement Y utile dulci du poète latin; comment, après cela, pourrait il y avoir le moindre désaccord sur son compte?
Je me trompe : le trottoir roulant n'a pas toujours été l'objet de cette faveur universelle.
Dans les premiers jours de son fonctionnement les habitants des grandes avenues avoisinant l'Ecole Militaire proférèrent quelques menaces à son adresse. « Le diable emporte ce trottoir et son inventeur ! s'écriaient-ils. Des batteries d'artillerie défilant sous nos fenêtres ne feraient pas plus de tapage. Quand l'Exposition prendra fin, nous serons sourds! » Et les locataires des entresols et premier étage renchérissaient : « Nous ne sommes plus chez nous, Paris, la France, le Monde entier envahissent nos domiciles; du lever au coucher du soleil, c'est une violation continue de nos salles à manger, chambres à coucher et cuisines. A moins de nous résigner à vivre comme le sage et... les caissiers, dans une maison de verre, nous allons être forcés de tenir fermés nos contrevents et abaissées nos jalousies. Quand l'Exposition prendra fin, ayant perdu l'habitude du jour, nous serons aveugles! ».
Cette mauvaise humeur est passée. Les grincheux du début sont aujourd'hui les meilleurs amis du trottoir roulant et ils se déclarent enchantés d'habiter une avenue où le spectacle le plus varié et le plus pittoresque leur est donné à toute heure du jour.
C'est à Chicago qu'a été tenté le premier essai du trottoir roulant. L'idée première appartenait à un ingénieur français, M. Blot; l'expérience de Chicago, suivie d'une tentative analogue à Berlin, lui fut une occasion de perfectionnements et l'Exposition de 1900 est arrivée juste à point pour lui permettre de réaliser enfin son invention. Parmi les ingénieurs dont la collaboration lui a été précieuse, citons M. Maréchal,ingénieur des ponts et chaussées, qui a été le grand artisan du chemin de fer électrique de l'Exposition, concurrence au trottoir roulant dans la direction inverse.
Avant toute description, posons quelques principes: le trottoir roulant — ou plate-forme mobile— est aérien sur tout son parcours ; il se meut sur un viaduc en bois, d'une longueur de 3,370 mètres, à 7 mètres environ au-dessus du sol. Il est sans arrêt et se déroule toujours dans le même sens; son mouvement est l'opposé de celui des aiguilles d'une montre; enfin son parcours est tracé en forme de quadrilatère dont le côté bordant la Seine s'incurve un peu,passé le pont de l'Aima.
Des moteurs fixes l'actionnent. L'énergie électrique qu'ils produisent met en mouvement des galets disposés sous la plate-forme, de distance en distance; supposez un instant ces galets à l'air libre tournant pour ainsi dire à blanc ou, si vous aimez mieux, dans le vide. Vous vous rendez compte, dès lors, de la force rotatoire qu'ils dégagent. Pour utiliser cette force, il suffira d'imposer un plancher sur les galets. Le trottoir roulant n'est pas autre chose qu'un plancher mobile qui reçoit son impulsion de ces galets, et qui est chassé en quelque sorte par leur rotation ininterrompue.
Cela dit, par quelles dispositions pratiques le trottoir mobile a-t-il été admis à remplir commodément l'office de véhicule? Parvenu à l'une de ces nombreuses « plates-formes d'accès » qui sont comme les gares du chemin mobile, le voyageur met d'abord le pied sur une façon de chaussée fixe indéfiniment déroulée à droite et à gauche. A deux pas de lui, parallèlement à cette chaussée, il aperçoit un premier trottoir roulant, de vitesse très modérée — quatre kilomètres à l'heure — et, à quatre pas, toujours dans la même direction parallèle, un second trottoir roulant d'allure plus rapide — huit kilomètres à l'heure. Le voyageur peut opter entre trois attitudes : demeurer sur la chaussée et la parcourir dans le sens qui lui plaira, ou se faire entraîner par la première plate-forme, ou passer sur la seconde qui est la plus large et est munie d'une balustrade à laquelle il est fort agréable de s'appuyer. Et rien n'est plus simple que d'effectuer ces mouvements; le voyageur qui craint de perdre l'équilibre n'a d'ailleurs qu'à saisir, au moment de changer d'allure, un de ces piquets qui jalonnent, à l'usage des gens craintifs, les deux plates-formes.
L'itinéraire est le suivant : le quai d'Orsay, l'avenue La Bourdonnais, l'avenue La Motte-Picquet, la rue Fabert. Neuf plates-formes d'accès sont à la disposition du public.
Montons, si vous voulez, par celle qui se trouve derrière le pavillon d'Italie et, nous laissant entraîner sur le trottoir à vitesse accélérée, examinons les êtres et les choses. La rue des Nations est là qui défile avec ses admirables palais ; nous sommes emportés parmi des architectures de rêve, dans un décor délicieux de verdure ; à partir du pavillon de Danemark, nous entrons sous un véritable tunnel formé par des entrelacs de branches. La fraîcheur y est exquise; le bien-être s'accroît de l'agréable sensation que procure tout déplacement obtenu sans effort, sans secousse, sans bruit.
Le spectacle est des plus amusants sur les pistes roulantes; ici des promeneurs en marchant dans le sens du trottoir, obtiennent une vitesse de cycliste lancé bon train; là, un monsieur qui s'obstine à aller dans le sens contraire, surveille le point de repère qu'il a choisi, sur un bâtiment ou sur un arbre et constate bientôt qu'il n'avance pas; plus loin des flâneurs et des paresseux mettent en pratique la théorie du moindre effort, arcboutés à la balustrade mobile ; çà et là des curieux stationnent sur la piste fixée et s'amusent de l'incessante circulation qu'ils ont sous les yeux. Ce n'est plus un simple trottoir ici, c'est un boulevard, le boulevard du Monde; toutes les races s'y mêlent, tous les costumes y sont représentés, on y parle toutes les langues : combien d'étrangers ne sont venus à l'Exposition que pour goûter les délices de ce singulier véhicule !
La rue des Nations est parcourue, nous perdons de vue la Seine et toutes les splendeurs cosmopolites dont ses bords sont fleuris; voici l'avenue La Bourdonnais. A gauche ce sont les maisons de l'avenue; à droite, les vastes palais du Champ de Mars. Successivement nous dépassons le Tour du Monde, le palais du Costume, l'Exposition des Mines et de la Métallurgie, les palais des Fils, Tissus et Vêtements, delà Mécanique, de l'Agriculture et des Aliments... Çà et là,aux approches des plates-formes d'accès, sous des halls ont été installés des bars et les consommateurs qui s'y groupent, s'intéressent bien moins aux boissons variée qu'on leur sert qu'à « l'attraction » sans commencement ni fin dont jouissent leurs regards.
Voici un texte d'Edouard Beaufils de 1900 qui présente celle nouvelle "attraction" et surtout le ressenti des gens pour cette nouvelle invention.
Il est convenu que toute Exposition universelle digne de ce nom doit, parmi des divertissements et des surprises multiples, offrir au visiteur une « attraction » suprême. En 1889, nous eûmes la Tour Eiffel; en 1900 nous avons le trottoir roulant. La Tour Eiffel n'obtint pas tous les suffrages : les artistes la jugèrent inesthétique et dans une pièce fameuse un poète déclara qu'elle faisait « hausser les épaules » au Mont-Blanc. Plus heureux, le trottoir roulant n'a pas de détracteurs. Tout le monde fait son éloge : il divertit et rend service à la fois, il est dans sa nouveauté une distraction et un moyen de transport; il symbolise merveilleusement Y utile dulci du poète latin; comment, après cela, pourrait il y avoir le moindre désaccord sur son compte?
Je me trompe : le trottoir roulant n'a pas toujours été l'objet de cette faveur universelle.
Dans les premiers jours de son fonctionnement les habitants des grandes avenues avoisinant l'Ecole Militaire proférèrent quelques menaces à son adresse. « Le diable emporte ce trottoir et son inventeur ! s'écriaient-ils. Des batteries d'artillerie défilant sous nos fenêtres ne feraient pas plus de tapage. Quand l'Exposition prendra fin, nous serons sourds! » Et les locataires des entresols et premier étage renchérissaient : « Nous ne sommes plus chez nous, Paris, la France, le Monde entier envahissent nos domiciles; du lever au coucher du soleil, c'est une violation continue de nos salles à manger, chambres à coucher et cuisines. A moins de nous résigner à vivre comme le sage et... les caissiers, dans une maison de verre, nous allons être forcés de tenir fermés nos contrevents et abaissées nos jalousies. Quand l'Exposition prendra fin, ayant perdu l'habitude du jour, nous serons aveugles! ».
Cette mauvaise humeur est passée. Les grincheux du début sont aujourd'hui les meilleurs amis du trottoir roulant et ils se déclarent enchantés d'habiter une avenue où le spectacle le plus varié et le plus pittoresque leur est donné à toute heure du jour.
C'est à Chicago qu'a été tenté le premier essai du trottoir roulant. L'idée première appartenait à un ingénieur français, M. Blot; l'expérience de Chicago, suivie d'une tentative analogue à Berlin, lui fut une occasion de perfectionnements et l'Exposition de 1900 est arrivée juste à point pour lui permettre de réaliser enfin son invention. Parmi les ingénieurs dont la collaboration lui a été précieuse, citons M. Maréchal,ingénieur des ponts et chaussées, qui a été le grand artisan du chemin de fer électrique de l'Exposition, concurrence au trottoir roulant dans la direction inverse.
Avant toute description, posons quelques principes: le trottoir roulant — ou plate-forme mobile— est aérien sur tout son parcours ; il se meut sur un viaduc en bois, d'une longueur de 3,370 mètres, à 7 mètres environ au-dessus du sol. Il est sans arrêt et se déroule toujours dans le même sens; son mouvement est l'opposé de celui des aiguilles d'une montre; enfin son parcours est tracé en forme de quadrilatère dont le côté bordant la Seine s'incurve un peu,passé le pont de l'Aima.
Des moteurs fixes l'actionnent. L'énergie électrique qu'ils produisent met en mouvement des galets disposés sous la plate-forme, de distance en distance; supposez un instant ces galets à l'air libre tournant pour ainsi dire à blanc ou, si vous aimez mieux, dans le vide. Vous vous rendez compte, dès lors, de la force rotatoire qu'ils dégagent. Pour utiliser cette force, il suffira d'imposer un plancher sur les galets. Le trottoir roulant n'est pas autre chose qu'un plancher mobile qui reçoit son impulsion de ces galets, et qui est chassé en quelque sorte par leur rotation ininterrompue.
Cela dit, par quelles dispositions pratiques le trottoir mobile a-t-il été admis à remplir commodément l'office de véhicule? Parvenu à l'une de ces nombreuses « plates-formes d'accès » qui sont comme les gares du chemin mobile, le voyageur met d'abord le pied sur une façon de chaussée fixe indéfiniment déroulée à droite et à gauche. A deux pas de lui, parallèlement à cette chaussée, il aperçoit un premier trottoir roulant, de vitesse très modérée — quatre kilomètres à l'heure — et, à quatre pas, toujours dans la même direction parallèle, un second trottoir roulant d'allure plus rapide — huit kilomètres à l'heure. Le voyageur peut opter entre trois attitudes : demeurer sur la chaussée et la parcourir dans le sens qui lui plaira, ou se faire entraîner par la première plate-forme, ou passer sur la seconde qui est la plus large et est munie d'une balustrade à laquelle il est fort agréable de s'appuyer. Et rien n'est plus simple que d'effectuer ces mouvements; le voyageur qui craint de perdre l'équilibre n'a d'ailleurs qu'à saisir, au moment de changer d'allure, un de ces piquets qui jalonnent, à l'usage des gens craintifs, les deux plates-formes.
L'itinéraire est le suivant : le quai d'Orsay, l'avenue La Bourdonnais, l'avenue La Motte-Picquet, la rue Fabert. Neuf plates-formes d'accès sont à la disposition du public.
Montons, si vous voulez, par celle qui se trouve derrière le pavillon d'Italie et, nous laissant entraîner sur le trottoir à vitesse accélérée, examinons les êtres et les choses. La rue des Nations est là qui défile avec ses admirables palais ; nous sommes emportés parmi des architectures de rêve, dans un décor délicieux de verdure ; à partir du pavillon de Danemark, nous entrons sous un véritable tunnel formé par des entrelacs de branches. La fraîcheur y est exquise; le bien-être s'accroît de l'agréable sensation que procure tout déplacement obtenu sans effort, sans secousse, sans bruit.
Le spectacle est des plus amusants sur les pistes roulantes; ici des promeneurs en marchant dans le sens du trottoir, obtiennent une vitesse de cycliste lancé bon train; là, un monsieur qui s'obstine à aller dans le sens contraire, surveille le point de repère qu'il a choisi, sur un bâtiment ou sur un arbre et constate bientôt qu'il n'avance pas; plus loin des flâneurs et des paresseux mettent en pratique la théorie du moindre effort, arcboutés à la balustrade mobile ; çà et là des curieux stationnent sur la piste fixée et s'amusent de l'incessante circulation qu'ils ont sous les yeux. Ce n'est plus un simple trottoir ici, c'est un boulevard, le boulevard du Monde; toutes les races s'y mêlent, tous les costumes y sont représentés, on y parle toutes les langues : combien d'étrangers ne sont venus à l'Exposition que pour goûter les délices de ce singulier véhicule !
La rue des Nations est parcourue, nous perdons de vue la Seine et toutes les splendeurs cosmopolites dont ses bords sont fleuris; voici l'avenue La Bourdonnais. A gauche ce sont les maisons de l'avenue; à droite, les vastes palais du Champ de Mars. Successivement nous dépassons le Tour du Monde, le palais du Costume, l'Exposition des Mines et de la Métallurgie, les palais des Fils, Tissus et Vêtements, delà Mécanique, de l'Agriculture et des Aliments... Çà et là,aux approches des plates-formes d'accès, sous des halls ont été installés des bars et les consommateurs qui s'y groupent, s'intéressent bien moins aux boissons variée qu'on leur sert qu'à « l'attraction » sans commencement ni fin dont jouissent leurs regards.