Texte et illustrations de "La construction moderne - 6 juillet 1889"
L’Exposition de 1889 si grandiose d’ensemble et si amusante dans les détails, est aussi, comme nos lecteurs s'en sont déjà rendu compte par eux-mêmes, une des plus complètes et des plus instructives. Une des branches de la construction très à l’ordre du jour pour le moment et fort intéressante pour les architectes est particulièrement réussie: en visitant l’exposition d’hygiène installée à l’esplanade des Invalides on peut constater l’immense progrès réalisé chez nous dans les études d’assainissement, et on peut voir combien ces questions ont préoccupé depuis quelques années nos architectes et nos constructeurs.
L’exposition d’hygiène urbaine organisée en 1886 à la caserne Lobau par la Société de médecine publique et d’hygiène professionnelle avait indiqué à tous la voie à suivre, et avait prouvé quel intérêt nous aurions à profiter des exemples qui nous étaient donnés en Belgique, en Angleterre et aux Etats-Unis.
En 1886 nous étions tributaires de l’étranger et c’est hors de France que nous devions prendre nos modèles. L’exposition d’hygiène de 1889 nous prouve que les questions d’hygiène relatives à la construction sont aussi bien étudiées chez nous que partout ailleurs et nous fait voir de plus les très beaux résultats obtenus par nos industriels. Nous pouvons aujourd’hui regarder le chemin parcouru et nous dire, avec une satisfaction patriotique, que nous avons pris place à la tête du mouvement sanitaire et que, s’il nous reste encore bien des efforts à faire pour assainir notre pays, les idées des hygiénistes sont assez comprises et assez répandues pour que nous soyons en droit d’espérer avant peu d’années une grande diminution du chiffre moyen de la mortalité.
Le palais de l’hygiène a été construit en face de la Pagode d’Angor. La façade , précédée d’une fontaine monumentale, est surmontée de trois dômes très réussis. Elle est décorée par des ornements de couleur très voyante et ressemble up peu à un temple qui serait placé sous l’invocation de Moïse et de Mahomet dont on lit les noms au dessus de la porte principale. A droite se trouve le pavillon Geneste et Herscher, à gauche les eaux minérales.
La classe 64 comprend, à côté de l’hygiène de la maison, des expositions fort complètes d’assistance, de médecine publique et de démographie. Ces questions n’intéressent pas directement les lecteurs de la Construction moderne et nous sommes forcés de négliger toute la partie de l’Exposition qui s’adresse spécialement aux médecins.
Le constructeur et l’architecte trouvent dans la classe 64 tous les renseignements qui peuvent leur être utiles :
1° Sur la construction des appareils sanitaires.
2° Sur leur emploi et le drainage de la maison.
3° Sur le parti à prendre pour établir une construction dans les meilleures conditions hygiéniques.
4° Sur l’hygiène urbaine (égouts, épuration agricole, etc.).
C'est l’ordre que nous nous proposons de suivre dans cette étude rapide où nous nous attacherons plutôt à donner des exemples qu’à faire une nomenclature complète.
APPAREILS SANITAIRES
Réservoirs de chasse pour water-closet. — C’est la maison Doulton, dont l’exposition se trouve à la galerie des machines, qui a introduit en France les premiers réservoirs de chasse.
L’appareil (fig. 1) se compose d'une cuve en fonte de 10 litres de capacité, contenant un tuyau droit, qui s’élève un peu au-dessus du niveau de l’eau, et une cloche actionnée par la chaîne de tirage. Quand on soulève la cloche on entraîne une rondelle qui glisse autour du tube, L’eau est
projetée dans l’entonnoir et le réservoir se vide sous l’action du siphon formé par la cloche et par le tube.
Les appareils français qui sont seuls exposés au palais de F hygiène valent certainement le modèle anglais que nous venons de décrire. C’est la maison Geneste et Herscher qui a fabriqué, croyons-nous, les premiers réservoirs français (fig. 2). Le réservoir contient un siphon formé d’une cloche et d’un tube central dont l’extrémité porte une soupape maintenant l’eau dans le réservoir. Quand on soulève la cloche, l’eau traverse la soupape et entre dans le tuyau de chasse par un ajutage conique qui aspire très énergiquement l’air contenu dans la cloche. Il suffit de tirer un instant la chaînette pour que le siphon s’amorce. La partie mobile est bien guidée par l’ajutage conique, la course est faible ; aussi la soupape se referme-t-elle bien.
Un certain nombre de constructeurs font des appareils analogues où le système est fixe, Pour amorcer, on ouvre une soupape placée sur le côté, qui envoie dans h* siphon une partie de l’eau du réservoir. Au bout d’un certain temps, l’air est entraîné; on peut laisser retomber la- soupape et la chasse se produit par le siphon.
Il faut se défier de ces appareils, car la soupape est généralement mal guidée ; après un certain temps elle ne ferme plus complètement, ce qui cause des pertes d’eau et de fréquentes réparations. Il faut faire exception pour certains appareils qui, comme ceux de la maison Scellier, ont une soupape renversée fermant de bas en haut; la soupape est bien guidée et le fonctionnement est régulier.
La maison Rogier Mothes a tenu à n’avoir aucune soupape dans son réservoir. Dans son appareil (fig. 3), inventé par M. Aimond, l’eau est retenue par une simple pression d’air. L’appareil se compose de deux doubles cloches emboîtées l’une dans l’autre. Quand l’eau monte dans le réservoir, elle comprime de l’air dans le deuxième espace annulaire. Le robinet flotteur est réglé avec soin pour se fermer un instant avant que l’air comprimé n’occupe tout cet espace et ne s’échappe dans le troisième anneau.
Le croquis indique quel est, au moment où le flotteur s’arrête, le niveau de l’eau dans le réservoir et dans les différentes parties de la cloche. On comprend facilement que si on vient à soulever la cloche supérieure, l’équilibre se trouve détruit. L’air s’échappe parle tuyau de chasse, et l’eau, n’étant plus retenue dans le réservoir par la présence de l’air comprimé, se précipite dans la cuvette.
Cet appareil est basé sur le même principe que les réservoirs de chasse automatiques de Doulton et de Geneste et Herscher; il est bien ingénieux et a surtout le grand avantage de ne contenir aucune soupape.
La maison Flicoteaux construit un réservoir très original qui présente les mêmes avantages. Il faut, pour l’employer, que la pression dans la conduite de distribution d’eau ne soit pas inférieure à 4 ou 5 mètres au-dessus du sol du water-closet.
Le réservoir de chasse (Fig. 4) contient un siphon dont la longue branche aboutit à la cuvette et dont la courte branche s’ouvre au-dessus d’un petit ajutage relié par un tuyau de 20 millimètres avec la canalisation d’eau. Sur ce tuyau est intercalé un robinet d’arrêt à fermeture automatique. Si on appuie sur le bouton, l’eau de la conduite vient frapper avec force l’eau contenue dans la courte branche du siphon. L’impulsion de ce choc chasse l’eau dans la longue branche du siphon, et lâchasse se produit.
Signal uns encore parmi ces appareils de chasse un réservoir de la maison Herbet, où le siphon, formé d’un simple tube en U, est relié au départ du tuyau de chasse par un manchon flexible. Pour amorcer, on plonge simplement le siphon dans l’eau du réservoir. L’expérience nous dira quelle est la durée du manchon flexible.
Cuvettes de water-closets pour appartements. — Les cuvettes sanitaires sont maintenant fabriquées en France, avec autant de succès qu’en Angleterre. Le. grès et la porcelaine sont aussi bons, la forme est souvent meilleure.
Les céramistes français ont créé en quelques années la fabrication des appareils sanitaires, et c’est en partie à leurs efforts que nous devons les résultats que nous constations tout à l’heure.
A citer particulièrement : Rambervilliers qui a fait les premières cuvettes à siphon et Pouilly-sur-Saône qui expose dans un élégant pavillon des pièces d’un très beau grès, dont quelques-unes sont décorées au grand feu comme la porcelaine.
La Société formée par la maison Pillivuyt et par les principaux constructeurs de Paris expose aussi des pièces très remarquables comme qualité et comme exécution. Le grès de Mehun peut presque passer pour de la porcelaine.
Les cuvettes exposées sont à bassin comme celle représentée par la figure 5, ou à chasse directe comme celles des figures 6 et 7. Le premier modèle retient toujours un peu d’eau dans la cuvette, évite toute souillure apparente; mais la chasse, en venant se briser contre la partie antérieure de l’appareil, perd une grande partie de sa force et nettoie le siphon d’une manière moins parfaite. Il peut se produire des obstructions, et dans certains cas des matières peuvent ne pas franchir le siphon et rester dans sa branche descendante. On ne les voit pas, mais elles n’en sont pas moins là.
Les cuvettes à chasse directe sont à effet d’eau plongeant comme celle représentée par la figure G, ou à chasse circulaire. Ce dernier modèle comporte un bourrelet faisant le tour de la cuvette et distribuant l’eau sur tout son parcours. Nous préférons les effets d’eau plongeants qui. lorsqu’ils sont bien conçus, laissent à la chasse plus de force pour nettoyer le siphon et qui en même temps lavent tout aussi bien la cuvette.
Les appareils dont nous venons de parler sont en deux pièces. On en fabrique un certain nombre où le siphon fait corps avec le bassin. Cette disposition permet de mieux étudier les formes du modèle pour ne pas briser la chasse et pour lui conserver toute sa force de nettoyage. La figure 4 contient un bon modèle de cuvette tracé dans cet esprit.
On fait aux appareils en deux pièces un autre reproche : le joint peut fuir et en tout cas la cuvette est moins stable. Pour répondre à cette objection, la maison Geneste et Herscher a fait construire à Rambervilliers une pièce où le bassin et la cuvette sont réunis par un joint de 10 centimètres de hauteur.

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Les Anglais fabriquent une cuvette où l’eau est retenue par une valve en caoutchouc. Au-dessous se trouve un siphon en céramique, en fonte ou en plomb. La figure 8 représente un de ces valves closets construits par Jennings. C’est une des maisons anglaises qui a le plus contribué au progrès de l’hygiène. Quand on tire une poignée de manœuvre, on lève la valve, et l’eau du bassin tombe dans le siphon pour le nettoyer. En même temps, on ouvre un robinet à fermeture lente, réglé pour envoyer dans la cuvette une quantité d’eau suffisante pour la remplir jusqu’à un certain niveau. La figure 9 donne le détail de ce robinet. Quand on l’ouvre, on fait pénétrer par une petite soupape une certaine quantité d’eau derrière la soupape principale. On abandonne le robinet, le ressort tend à le fermer, mais la fermeture n’est pas possible tant qu’il reste de l’eau derrière la grande soupape. Cette eau est forcée de traverser un orifice réglé par une vis et, en tournant plus ou moins cette vis, on peut faire varier la quantité d’eau débitée par le robinet.

Les valves closets sont des appareils délicats et compliqués dont on ne peut recommander l’emploi ; la chasse est mauvaise et bien souvent le siphon n’est pas nettoyé.
Une maison française, la maison Havard, a fait un appareil du même genre mais il est relativement plus simple.