Panorama du Tour du Monde - Expo Paris 1900

Panorama du Tour du Monde à l'exposition de Expo Paris 1900

Le principal groupe de panoramas et de dioramas à l'Exposition est celui qui s'élève au Champ-de-Mars, près de la leur Eiffel, sous le nom de Tour du Monde, titre qui n'est pas tout à fait exact puisque l'ensemble des tableaux groupés dans ce pavillon ne nous présente que l'Europe et l'Asie.

L'organisateur de cette attraction, M. Dumoulin, artiste distingué attaché au Ministère de la Marine, a exécuté sur place les toiles qui ont servi à composer le panorama, ce qui nous est un sûr garant de leur exactitude; mais de plus, il a eu l'ingénieuse idée de ramener de ce long voyage un nombre assez considérable d'indigènes de chacun des pays qu'il entendait nous faire visiter. Il a constitué ainsi ce qu'il a justement appelé un panorama animé, c'est-à-dire que ses tableaux deviennent des toiles de fond devant lesquelles vont se grouper artistement des personnages non pas simulés en relief, mais en chair et en os. Et ces personnages eux-mêmes ne sont pas immobiles : placés sur des plans accidentés, ou dans des habitations qui relient à la perspective lointaine la plateforme sur laquelle se trouve le spectateur, ils se meuvent dans ce cadre approprié, jouent, dansent, flânent ou travaillent selon lé caractère du peuple qu'ils personnifient.

Le superbe palais, dans lequel a été installée cette exposition, n'en est pas le moindre intérêt et constitue en quelque sorte la synthèse architecturale des pays que le visiteur va Voir défiler sous ses yeux à l'intérieur. Il ne serait même pas exagéré de dire que l'on a rarement poussé à ce point l'exactitude de la forme et le luxe du détail dans la reproduction de monuments de l'Extrême-Orient. Les diverses parties de ce palais ont été en effet reconstituées au moyen de moulages exécutés par M. Dumoulin sur les plus célèbres édifices de l'Inde, de l'Indo-Chine, de la Chine et du Japon. Aussi cet extérieur mérite-t-il un examen attentif. Dans son ensemble le bâtiment nous présente une haute muraille couronnée à l'entablement supérieur par une galerie en encorbellement de style hindou dont les pilastres, les consoles et les frises sont décorés de sculptures et de statues de dieux et de déesses. Contre cette muraille, qui entoure tout l'édifice de forme elliptique, sont appliqués, soit aux angles, soit à la base, des pavillons ou des constructions basses, appartenant aux styles d'architecture des divers pays d'Extrême-Orient. Par exception, le premier pavillon formant l'angle oriental du côté de la Seine est de style Renaissance et représente l'Europe. A l'angle opposé se dresse la haute tour, en forme de mitre, d'un temple de l'Inde du Sud, reposant sur une série de logettes aux auvents de pierre en saillie et encadrées de divinités, de statuettes, de monstres de la mythologie hindoue dont nous nous plaisons à reconnaître la scrupuleuse exactitude. Au temple indien, succède une façade en bois sculpté sobrement rehaussé d'or, copiée sur un des temples japonais de Nikko et qui est d'une grande élégance. Enfin vient la reproduction d'une magnifique pagode chinoise, haut échafaudage de poutres laquées de rouge et d'or, coupé à chacun des six étages par les larges toitures aux angles retroussés qui sont si caractéristiques de l'architecture du Céleste Empire.

Passant sous la superbe porte du temple de Nikko, dont un orchestre javanais, dissimulé dans une tribune, fait retentir la voûte d'accords bizarrement harmonieux, un large escalier nous conduit à une première salle; le pourtour en est occupé par un diorama de la rivière de Saigon, aux rives bordées d'une rangée ininterrompue de paillotes sur pilotis au-dessus desquelles se balancent les élégants plumets des cocotiers. Puis, le tour fait, quelques marches nous font déboucher sur la large plate-forme dominant le lumineux panorama qui enveloppe la salle d'un lointain horizon.

Pour commencer d'une façon normale le voyage qui doit nous conduire des rivages de l'Europe jusqu'au Japon, il nous faut regarder à notre gauche par-dessus la corde de velours qui nous barre maladroitement la route. Le pays qui se présente ainsi à nous, c'est l'Espagne, et aussi presque la France, car de la terrasse où dansent quelques manolas tandis que de graves hidalgos roulent des cigarettes, nous voyons à nos pieds la gracieuse Fontarabie, avec sa vieille tour de Charles-Quint, et, par delà l'étroite anse de la Bidassoa, notre ville française d'Hendaye se profilant sur le fond de collines rosées qui la séparent de Biarritz.

Suivons maintenant à droite, et nous sommes en Grèce, sur la colline du Pnyx où se tient mélancoliquement assise une jeune femme grecque surveillant les ébats de mignonnes fillettes; de notre observatoire nous voyons se dérouler le sublime paysage de l'Acropole encadré par les hauteurs du Pontélique et de l'Hymette. De là, nous passons dans le cimetière turc de Stamboul, très fidèlement reproduit avec ses tombes dressées et coiffées d'un lourd turban de pierre, et où il semble que quelques pas sur le sentier qui s'ouvre devant nous vont nous conduire jusqu'à Constantinople mollement étendue sur les rivages de la Corne d'Or. Un coin de Syrie, fugitivement aperçu, et devant lequel des potiers levantins sont occupés à façonner des cruches de forme élégante, et nous entrons dans le canal de Suez à Port-Saïd, ville blanche sur sable d'or, où se pressent les hauts paquebots attendant le passage. Mais à la solitude du désert succède brusquement la sombre verdure des tropiques; nous voyons défiler successivement devant nous Ceylan avec ses charmeurs de serpents, les ruines d'Angkor au milieu desquelles s'agitent des prêtres cambodgiens et de gentilles danseuses javanaises. Puis nous voici en Chine, à Changhaï, où dans un élégant pavillon toute une famille chinoise semble absorbée dans une passionnante partie de dames.

Enfin, nous passons au Japon, qui est le terme de notre rapide voyage; mais ici il faut nous arrêter un instant, car, par une piquante indiscrétion, on nous a placé dans l'intérieur d'une charmante maison japonaise. A peine séparé de nous par une balustrade, se tient un groupe de gracieuses jeunes femmes, au visage délicatement fardé, au lourd chignon, à la robe de soie croisée et retenue par une volumineuse ceinture: accroupies sur les fines nattes, les unes jouent ingénument avec des osselets enveloppés d'étoffe, tandis que d'autres sous la surveillance d'une matrone s'emploient à de menus travaux. Le tableau est fort joli; par les parois largement ouvertes du pavillon, on aperçoit la ville sainte de Nikko encadrée de douces collines verdoyantes s'abaissant vers la mer.

Redescendus au premier étage, nous y voyons des dioramas de Rome, de Moscou, de New-York, d'Amsterdam; puis de là au rez-de-chaussée où un panorama mobile nous fait faire le voyage en bateau le long des côtes de Provence, de Marseille à la Ciotat. L'illusion du mouvement est assez complète mais il n'en est pas de même de celle des flots, très imparfaitement imités et qui sont loin d'avoir la merveilleuse mobilité de ceux du Stéréorama que nous avons décrit à propos de l'exposition de l'Algérie et qui est une véritable merveille de mécanisme.

©Louis Rousselet - L'Exposition Universelle de 1900