Porte
Placée à côté de l'entrée du bronze d'art, la porte de l'horlogerie ne modifie pas l'impression de froideur, de déjà vu, que celle-ci vous a donné. Elle l'augmente au contraire, avec cette circonstance aggravante que la critique à son égard est bien plus justifiée, car elle paraît pauvre et sa teinte grise ne paie d'aucune illusion cet aspect de pauvreté.
Cependant elle a quelque chose d'assez original.
Au-dessus des trois baies un immense demi-cadran portant les 42 heures, comme les anciennes pendules italiennes qui marquent 24 heures, laisse apercevoir derrière lui deux fragments de cadran solaire.
Dans les deux pilastres du milieu, des niches ont été ménagées pour placer des régulateurs, qui en remontreraient sans doute pour la régularité au canon du Palais-Royal, mais dont l'effet décoratif est médiocre. On dirait de ces pendules qui sont incrustées dans les murs des mairies de Pans, sous le nom de centres horaires pour l'unification de l'heure.
D'ici et de là il y a des cadrans. Mais comme la porte est une propriété collective des exposants, on n'a pas voulu faire de jaloux en plaçant des cadrans de telle ou telle maison, et ceux-là sont tout bonnement peints sur la façade — comme la fausse pendule qui, dans le décor de salon, des théâtres de province, est peinte sur la fausse glace.
Si à l'exposition de l'horlogerie on n'a que des illusions de pendule dès le premier pas que l'on fait, où faudra t-il aller, grand Dieu! pour trouver de véritables horloges!
©Livre d'Or de l'Exposition - Alfred Grandin.
Galerie
Cette section s'ouvre sur la grande galerie centrale, par une porte dont nous avons déjà parlé.
A droite et à gauche, nous voyons d'abord les travaux des élèves des écoles d'horlogerie et une assez intéressante exposition de l'histoire des montres depuis 1770. Mais, est-il bien prudent de montrer toutes ces anciennes montres, qui sont très belles, vraiment? Et les nouvelles montres, les montres du progrès, valent-elles bien nos anciennes montres? Elles étaient plus lourdes, mais, au moins, elles marchaient régulièrement pendant de longues années, et, chose bizarre, si cette montre qui allait bien vient à s'encrasser simplement, on l'envoie chez l'horloger; mais, en revenant de chez le spécialiste moderne, on a bien des chances que la montre ne marche plus jamais que d'une façon très irrégulière. La montre, comme la jolie femme, a ses nerfs, on ne peut plus rien en faire, parfois, et quant aux montres tout à fait modernes, il leur arrive bien souvent d'oublier de marcher. Donc, l'horloger moderne, en général, ne sait pas faire marcher les montres anciennes, et les montres qu'il fabrique sont loin d'être irréprochables; donc, je crois que j'avais raison de dire que cette exposition rétrospective des montres est plutôt dangereuse. Cependant, il faut reconnaître que les montres ont baissé de prix, c'est le seul progrès qu'elles aient fait, les montres communes, bien entendu, car les chronomètres se tiennent à des hauteurs de prix, inaccessibles à bien des bourses.
Quant aux horloges, nous voyons une reconstitution des anciennes clepsydres, cette comparaison est bien moins désavantageuse que pour l'histoire rétrospective des montres. D'ailleurs, les pendules fonctionnent d'une façon plus régulière, leur mécanisme, plus maniable, permettant de les régler assez bien.
Le principe de l'ancienne clepsydre est le suivant : « Des quantités égales de liquide s'écoulent d'un vase en des temps égaux, quand on maintient constante la hauteur de l'eau. » On mesurait donc le temps en examinent le volume d'eau qui s'est écoulé d'un vase dans un temps déterminé.
La découverte des oscillations du pendule, par Galilée en 1582, et surtout de l'isochronisme de ses oscillations, puis plus tard, en 1657, l'invention du ressort en spirale par Christian Huyghens, amenèrent des modifications complètes dans la construction des appareils à mesurer le temps. En effet, le ressort en spirale, le régulateur et l'échappement résument à eux seuls les moyens mécaniques, base de toute l'horlogerie.
Ce qui a disparu à l'exposition actuelle, ce sont les pendules à globes, avec sujets en zinc d'art bronzé ou doré. Nous ne voyons plus de moutons, des bergers et des bergères, Paul et Virginie, Jean Bart, le connétable Du Gués-clin, enfin toute la série des héros populaires, tout cela a été remplacé par des sujets plus modernes, qui ont facilement d'ailleurs, une valeur artistique supérieure. Et puis, la mode est changée; on met maintenant un sujet colossal en bronze sur une pendule relativement petite, l'heure n'est que l'accessoire, la pièce principale et intéressante est le sujet.
Il y a aussi des pendules dont le mouvement représente dés machines en mouvement : une locomotive dont toutes les roues tournent, une machine à vapeur fixe, le grand volant tourne ainsi que les pièces du piston, un moulin à eau, un moulin à vent. Mais tous ces mécanismes doivent être d'une sensibilité extrême, pour se déranger, car elles marchent rarement et jamais bien longtemps ; cependant, une pendule est faite pour marcher un certain nombre d'années, jour et nuit, il est probable que toutes ces machines ne pourraient fournir une bien longue course.
Il y a aussi le portefeuille-montre, des boîtes à musique, que l'on soigne beaucoup aussi; on les fait marcher le moins longtemps et le moins souvent possible. Encore des mouvements bien délicats.
Ce qu'il y a de tout à fait nouveau, c'est le cabaret automatique à dix centimes. Vous déposez un gros sou dans telle ou telle tente, et vous avez un sirop de groseille, un punch, un américain, un vermouth, etc. Mais cet appareil ne fonctionne pas du tout. Cependant, il y en a dans Paris qui fonctionnent assez régulièrement.
Puis ce sont les horloges réveille-matin ; allumoir et lumière électrique, vous vous réveillez et vous avez un petit soleil dans votre chambre.
Nous voyons aussi les oiseaux chanteurs, qui ne fonctionnent pas non plus.
Dans certaines pendules nouvelles, on supprime le cadran, l'heure est indiquée en chiffres, l'heure en dessus, lés minutes en dessous. Voilà qui est bien dix-neuvième siècle. Il y a des montres semblables.
Il y a aussi toutes les garnitures de cheminée possibles. Au point de vue du goût, l'exposition est assez jolie. La dominante est cependant, à quelques exceptions près, le bon marché. Ainsi, pour neuf francs, vous pouvez avoir une montre remontoir, garantie deux ans, en nickel, et, pour vingt francs, une montre remontoir en argent, avec rubis, garantie cinq ans. Voilà évidemment du progrès, et, quoique si bon marché, ces montres ne marchent pas mal du,tout. Bientôt les horlogers distribueront dans les rues des montres-prospectus, pour leurs différents articles.
Nous pouvons admirer des horloges monumentales; mais là encore, rien d'extraordinaire. Quelles merveilles n'ont pas été produites par des artistes horlogers, autrefois, dans nos cathédrales? Certaines horloges, outre l'heure, portent un calendrier perpétuel avec les fêtes mobiles ; un planétaire, présentant la durée des révolutions de chacune des planètes visibles à l'œil nu, les phases de la lune, les éclipses de soleil et de lune, la précession des équinoxes, etc. Outre cela, des statuettes mécaniques frappent les heures et demi-heures, avec une régularité parfaite, et ce qui fait le prix et la valeur inestimable de ces ouvrages, c'est la précision des indications astronomiques. Pourrions-nous en dire autant de toutes les horloges exposées? Heureusement le canon de la Tour Eiffel fait loi pour la fermeture, car si l'on devait s'en tenir aux indications des horloges, ce serait des discussions continuelles entre les visiteurs et les gardiens. Écoutez avec quel ensemble toutes ces sonneries s'exécutent bien les unes après les autres; on dirait que chaque horloge veut cède rie pas à sa voisine, c'est un assaut de politesse : à qui sonnera la dernière, et quand vous croyez que tout ce vacarme est fini, vous tressaute : c'est une grosse cloche endormie qui se réveille soudain pour arriver bon dernier. Vraiment, si toutes ces horloges sont incapables de marcher régulièrement plusieurs jours de suite, les exposants devraient au moins les régler toutes ensemble, chaque jour, sur l'heure de l'Observatoire, même dans leur intérêt.
©Livre d'Or de l'Exposition - S. Favière.