Porte
La dernière des entrées monumentales du côté gauche de la galerie de trente mètres est celle qui s'ouvre sur l'exposition collective des usines métallurgiques de la Loire (classe 41).
Elle s'est dignement mise à la hauteur de cette industrie du fer, qui est l'une des premières parmi nos industries nationales. Les noms de Firminy, de Montbrison, de Rive-de-Gier, sont célèbres dans le monde entrer.
La façade rappelle, sans la copier nullement, celle qui lui fait vis-à-vis. Mais tandis que la serrurerie et la ferronnerie, à qui est consacrée la façade d'en face, sont les industries de la paix, les usines de la Loire ont voulu rappeler quel rôle important elles jouent dans notre défense nationale et ce sont des canons qui servent de colonnes pour partager la façade en trois baies. Là, on n'a pas recouvert entièrement de métal la façade, qui est en pierre en grand appareil, avec un aspect très réussi de porte d'usine. Les blocs de minerais sont disposés au pied de cette façade, dont la corniche un peu militaire pour une usine, est ornée de têtes de lion, très heureusement complétées par l'addition de forts anneaux de métal que les animaux tiennent dans leur gueule.
©Livre d'Or de l'Exposition - Henry Anry.
Galerie
Il était à peine nécessaire de faire une classe à part de ce qui constitue, sous le titre de produits de l'exploitation des mines et de la métallurgie, la classe 41. En effet, la métallurgie est partout à l'Exposition. Toute l'Exposition n'est elle-même qu'un grand pandémonium du métal. Depuis la tour de 300 mètres jusqu'aux légères constructions démontables du quai d'Orsay, le métal est partout. Il a fourni toutes ces charpentes, ces fermes vertigineuses, ces arcs d'une portée jusqu'ici inconnue, il a même fourni les murailles; tels sont par exemple les panneaux ondulés du théâtre des Folies Parisiennes, ou les panneaux estampés qui forment le superbe revêtement du râlais du Mexique.
L'Exposition aura été la grande fête du métal, fête très caractéristique de cette époque, la nôtre, dont le génie — ceci sans aucune raillerie — se synthétise dans la Galerie des Machines, comme le génie du moyen âge se synthétise dans Notre-Dame, la Gothique.
Cela n'a pas empêché le métal de prendre une place considérable dans le Palais des Expositions diverses. Son exposition est, avec celle du Meuble, celle qui occupe la plus grande surface et c'est la seule qui possède deux entrées monumentales, en face l'une de l'autre, dans la Galerie de Trente mètres. Il est vrai que nulle industrie n'a un répertoire aussi étendu, si j'ose m'exprimer ainsi.
C'est de ce répertoire que nous allons donner un rapide aperçu.
Avant d'être métal, tout métal est minerai; cette vérité de La Palisse n'est énoncée ici que pour nous mettre en relations avec les divers produits d'extraction des mines, qui forment la base de l'exposition métallurgique. On ne se fait pas une idée de la quantité de mines qui existent sur le sol français. En un siècle seulement il a été accordé, je crois, i,200 concessions de mines, fournissant soit des houilles, soit des minerais de fer, sans compter les carrières exploitées à ciel ouvert sans concession, sans compter, non plus, les mines peu productives il est vrai, de cuivre, de zinc, de plomb, etc. Nous n'extrayons du sol national aucun des métaux précieux, du moins d'une manière réellement industrielle. Car on orpaille, c'est-à-dire que l'on relire de l'or en paillettes de quelques-uns de nos cours d'eau, et le traitement de nos rares minerai de plomb peut fournir des quantités infinitésimales d'argent. Mais il est peu important pour un pays de produire de l'or. Cela n'explique ni n'indique, ni le développement de sa richesse absolue, ni même le développement de sa richesse métallique.
Les pays du Sud-Amérique qui produisent de l'or, sont en proie à d'éternelles crises monétaires, et il faut par exemple, à Buenos-Ayres, payer quarante-deux ou quarante-trois francs en papier, un chapeau gibus, que l'on est trop heureux de vous laisser emporter en échange d'une belle pièce d'or de vingt francs.
Un kilogramme d'acier transformé en spiraux de montres, représente un métal bien autrement précieux qu'un kilogramme d'argent, et cependant l'acier n'est qu'un « vil métal ».
Le soufre et le sel sont également deux produits de l'industrie minière, qui valent bien les minerais précieux. Que deviendra la terre si le sel perd sa force? disait à peu près Jésus-Christ à ses disciples... Et aujourd'hui, à dix-neuf siècles de distance, la question ne paraît pas pouvoir être plus facilement résolue : le sel est une nécessité chez l'homme civilisé; — il y a des sauvages qui s'en passent parfaitement : mais du diable si je sais pourquoi il nous est nécessaire. Dans le pain bien fait on ne doit sentir aucun goût de sel. Eh bien ! mangez du pain qui ne soit pas salé du tout, et vous verrez si cela ne vous semble pas une des plus atroces choses qu'il soit possible d'avaler.»
Quant au soufre, c'est le sel de l'industrie moderne. Les deux facteurs caractéristiques de l'activité industrielle d'un pays, sont sa consommation de soude et surtout sa consommation d'acide sulfurique. Je n'entends pas par consommation celle qu'en font les jeunes personnes abandonnées qui vitriolent leur séducteur, cette coutume, quoique consacrée par la jurisprudence de plusieurs cours d'assises, ne pouvant réellement passer pour un usage industriel.
Nous n'avons pas davantage de pierres précieuses que nous n'avons de métaux précieux. Mais nous avons, en quantité, la première pierre précieuse du monde, la houille. Si le soufre est le sel de l'industrie, la bouille est son pain quotidien, pain que dévorent chaque jour des milliers de bouches pantagruéliques, que digèrent des estomacs monstrueux et qui, par des milliers d'artères, se répand transformé en un sang généreux dans le pays tout entier.
La Houille, la grande Houille, la fée des miracles modernes, est certes d'une autre importance sociale que son frère le diamant, qui, n'était la coquetterie humaine, ne servirait qu'à couper les vitres et à quelques usages industriels. Nous voyons ici toute cette famille noire, lignite, anthracite, houille proprement dite, ce que nous appelons couramment charbon de terre. Nous voyons à côté quelques-uns des sous-produits de cette houille qui est la plus féconde des matières premières, puisque, ainsi qu'on l'a déjà détaillé ici, elle arrive aujourd'hui à fournir des couleurs, des parfums, des huiles, des acides, des corps gras, des produits pharmaceutiques, du sucre, sans compter le goudron lui-même d'où sort tout cela, et le gaz d'éclairage que l'on obtient par-dessus le marché. Les débris même de la houille les plus menus, les poussières impalpables sont employées sous formes d'agglomérés pour les usages industriels, de briquettes pour les usages domestiques.
Produits des mines également, les asphaltes, les roches asphaltiques, les naphtes divers, et enfin le pétrole qui a à peu près complètement supplanté l'huile dans l'éclairage, et qui de jour en jour tend à remplacer la houille comme chauffage industriel.
Les argiles ont comme terres de poteries, leur emploi tout indiqué à côté des services qu'elles rendent également dans la composition des produits réfractaires, mais elles offrent encore d'autres ressources. Quand les procédés nouveaux seront pleinement passés du laboratoire d'étude à l'usine de production, c'est l'argile qui fournira le métal de l'avenir, l'aluminium, dont l'usage est encore restreint à cause de son prix élevé, mais qui tombera bientôt à des cotes infiniment plus basses, puisque c'est, paraît-il, le plus répandu de tous les métaux.
Les pierres de construction offrent en principe peu d'intérêt. Le calcaire n'a rien de palpitant, mais il en est un qui est cependant précieux : c'est le marbre. Nous avons en France des marbres qui valent les plus renommés des marbres étrangers, et le Carrare n'a qu'à se bien tenir devant les superbes blocs qu'a envoyés la vallée d'Ossau.
Restent, pour finir cette énumération de ce que l'on nous montre ici venant des « entrailles des globes », les minerais divers qui deviennent le fer, le cuivre, le plomb, etc.
L'exposition de ces métaux comporte, comme on peut le concevoir, des pièces d'importance. La métallurgie moderne ne connaît pas de limites. Elle fond et martèle un bloc de métal de cent mille kilogrammes. Elle en fondrait un de cent mille tonnes, si c'était nécessaire. Elle a des laminoirs qui égalisent des pièces de lm,80 centimètres d'épaisseur, des marteaux-pilons qui écrasent des masses d'acier grosses comme un éléphant. Elle forge des plaques de blindages épaisses comme des murs et de longueur indéfinie.
Toutes ces pièces forment des trophées étonnants, qui semblent orner un atelier de Titans. Quels leviers peuvent soulever ces masses, quels tours peuvent en parachever le calibrage, quelles vrilles de géant peuvent percer dans toute leur longueur ces formidables pièces d'acier? Allez à la Galerie des Machines et vous verrez fonctionner ces outils merveilleux, massifs comme des monuments et doux comme des enfants, réunissant, suivant le beau vers de Victor de Laprade,
Deux attributs divins, la douceur dans la force.
Plusieurs de ces outils sont également exposés dans la classe 41, mais ils sont au repos. Et pour cause, car nombre d'entre eux ne sont que des fac-similés en bois, comme certaines énormes pièces de métal, qui eussent exigé des fondations spéciales pour ne pas défoncer le sol sur lequel elles eussent reposé.
Sur l'obélisque de la place de la Concorde, on a retracé les diverses phases de l'érection du monument. Aujourd'hui, nous avons des pièces d'artillerie plus lourdes que l'obélisque, quelques hommes les manient au doigt et à l'œil. Certaines grues — sans calembour — déménageraient la pyramide de Chéops en un seul morceau...
Ce que l'on peut reprocher à cette partie de l'exposition métallurgique, est d'être trop saturée d'obus et de canons. Nous le savons bien que le canon est à la fois Yultima ratio et le dernier mot delà vie moderne, mais que diable, nous en avons assez vu au Ministère de la Guerre, et une fête de la paix n'a point tant besoin de projectiles, fussent-ils de la dernière perfection. Les canons entraînent avec eux les plaques de blindages, et les tubes à lancer les torpilles appellent un cortège naturel de filets destinés à éloigner les torpilleurs. Pour quel centenaire l'humanité fera-t-elle des enveloppes de locomotive avec les plaques de blindage et des socs de charrue avec les culasses de canons?
Les fontes d'art sont justement là pour reposer ceux qui, pareils à votre serviteur, sont un peu crispés par les étalages guerriers. Le domaine de la fonte d'art s'étend chaque jour, et l'Exposition de 1889 marquera une étape importante dans sa conquête du bâtiment. Elle ne se borne plus à fournir des statues, des vasques, des rampes, des balcons et des candélabres. On l'a vue, sur la façade des palais du Champ de Mars, s'attaquer à la décoration proprement dite et former, comme à l'entrée du Dôme central, de superbes portiques.
Néanmoins la fonte d'art est battue d'avance partout où elle s'est attaquée à la serrurerie d'art. Si nous n'avons pas la patience de faire passer une vie entière d'ouvrier à parachever une penture de porte, comme le faisait le moyen âge, nos serruriers savent faire néanmoins des choses fort artistiques, à preuve ce ravissant portique à colonnes qui coupe la travée en deux. Il n'est pas le seul, car nulle classe n'est aussi riche que celle-là en portiques. Il y en a un autre, une sorte de porte formée de combles à la Mansard, qui est exécutée entièrement en zinc; il y en a d'autres en cuivre... sous lesquelles on ne passe pas, et qui sont de simples trophées, mais des trophées qui valent la peine qu'on les examine. Les uns sont formés de tuyaux énormes d'un diamètre considérable, 40 ou 50 centimètres, avec[une épaisseur de 10 millimètres, sur une longueur de 10 mètres et qui sont tirés d'une seule pièce, c'est-à-dire sans aucune soudure. De même des coupoles de cuivre larges comme des cloches de cathédrales et qui sont non fondues mais embouties, c'est-à-dire repoussées par l'action d'une presse hydraulique sur une plaque de cuivre. Etant donné que ces plaques ont quelquefois deux ou trois centimètres d'épaisseur et que la profondeur de Y emboutissage va jusqu'à deux mètres, on voit quelle force a dû être nécessaire.
Le plus réussi de ces trophées est certainement celui de la maison Letrange reproduit par notre gravure, et dans l'exécution duquel M. Lequeux a déployé une verve architecturale du meilleur goût.
Après avoir vu ces infiniment grands, il faut voir, mais vite, car cette étude est déjà bien longue, les infiniment petits, les fils de métal fins comme les plus fins parmi les fils de soie; les aiguilles, les épingles. Le contraste est assez intéressant. C'est une opération semblable, toute proportion gardée, de marteler une plaque d'acier sous un marteau-pilon, ou d'amincir une feuille d'or avec le maillet du batteur. On sait jusqu'où va la perfection de ce travail, cependant très ancien. Une pièce de vingt francs peut fournir des surfaces d'or en feuilles telles que l'on pourrait en couvrir une maison raisonnable, ou à peu de chose près. Quant à étirer cette pièce d'or en un fil, c'est bien plus étonnant encore : on en sort des kilomètres de long.
D'autres fils, plus solides, sont ceux employés à la confection des câbles métalliques les cordes de matières végétales sont en général rondes, les câbles de métal sont plats et offrent cet avantage que l'on peut calculer de fort près leur solidité et déterminer leur coefficient de rupture.
Un détail pour finir. Le plus fort câble de métal que l'on ait fabriqué est celui qui fait manœuvrer, entre la deuxième plate-forme de la Tour Eiffel et le plancher intermédiaire, la première partie de l'ascenseur Edoux.
©Livre d'Or de l'Exposition - Paul Le Jeinisel.