Le devoir de la presse est d'arriver toujours bonne première. Elle a tenu à le remplir plus encore à l'Exposition qu'ailleurs, et le premier édifice du Champ de Mars qui ait été complètement terminé , comme construction et comme aménagement, est le Pavillon de la Presse.
Il est vrai que c'est un modeste édifice, puisque les trois bâtiments qui le composent n'ont qu'un développement total de 55 mètres et un seul étage, mais il n'en est pas moins d'un bel aspect, et il fait honneur à son architecte, M. Alfred Vaudoyer.
On comprend qu'une construction qui s'allonge sur 55 mètres de façade, et qui n'a qu'une profondeur d'environ 10 mètres, et un seul étage de hauteur, offrait peu de ressources architecturales. Mais M. Vaudoyer est surtout l'architecte des façades, et celles qu'il avait construites, en 1878, dans la rue des Nations, étaient remarquées parmi les plus pittoresques.
Il a très bien su tirer parti delà bande de terrain dont il avait à disposer : la façade, découpée par des ressauts et des avant-corps, offre non l'uniformité que l'on pouvait craindre, mais d'agréables effets de perspective au milieu desquels ressort bien en valeur le pavillon central, qui est, à proprement parler, le Pavillon de la Presse.
J'ai dit que le pavillon avait été très rapidement aménagé. Je dois ajouter que cela a marché tout seul, car la plupart des grands fabricants ont envoyé quelque chose.
Au fond, ces généreux donateurs sont des malins, qui savent parfaitement que les petits cadeaux entretiennent l'amitié, et qu'ils rentreront dans leurs débours par une publicité bien sentie, dictée par la reconnaissance. C'est, si l'on veut, de la publicité payée en marchandises, mais il faut reconnaître que ces marchandises sont remarquables.
Le pavillon central est couvert en tuiles émaillées. La façade blanche est ornée de sculptures de M. Tibault et de mosaïques (l'inscription et les deux médaillons qui la flanquent) offertes par M. Facchina.
On peut aussi compter dans l'ornementation extérieure, quoiqu'ils soient bien plutôt destinés à la décoration intérieure, les très beaux vitraux exécutés spécialement pour le Pavillon de la Presse, et offerts par la maison Champigneulle de Bar-lc-Duc.
Voici pour la façade du pavillon situé en bordure de l'avenue de la Bourdonnais, à l'une des extrémités du parc de la Tour Eiffel, et flanquée d'un jardin spécial que M. Alphand a fait planter à l'usage privé des journalistes français et étrangers.
Une porte-barrière, d'une belle exécution, sortant des ateliers de M. André, de Neuilly, donne accès dans le pavillon. Cette barrière est un cadeau... Au surplus, cela devrait, je l'ai déjà dit, s'appeler le Pavillon des Cadeaux, et de toute la décoration intérieure, de tout l'ameublement, il n'y a eu, je crois, à payer qu'une seule cheminée.
Cette porte est flanquée de deux énormes sphinx et de beaux vases. Encore des cadeaux : ceux-là, de la Société des granits et porphyres des Vosges...
Le rez-de-chaussée, surélevé de quelques marches, se compose d'une salle de réception, d'une salle de comité, d'une salle de correspondance et d'une salle de téléphones.
Il est traversé par un grand vestibule, qui met en communication toutes ces pièces, et relie le pavillon central avec les deux autres.
Ce vestibule est fort beau, c'est là que l'on trouve les deux grands panneaux en faïence de là maison Mortreux.
Ces deux panneaux, admirablement réussis, sont l'œuvre d'un jeune artiste, M. Lionel Royer, qui ne s'adonne pas exclusivement à la céramique, puisqu'en 1885 il obtenait au Salon une médaille avec une très belle toile, la Famille.
Le panneau de droite représente la Critique. Ah ! mais, pas la critique pédante, hargneuse, avec des lunettes bleues et un gros ventre. Pas du tout, c'est une belle jeune femme couronnée de houx... — dame! qui s'y frotte s'y pique! — et qui écrit sur une bande de parchemin qu'elle déroule. Ce n'est pas très rassurant, ce qu'elle a déjà inscrit sur son parchemin : « Unguem time, gare à ma griffe ! » mais il y aura tout plaisir à être critiqué par une aussi charmante personne.
Dans l'autre panneau, la Pensée est symbolisée par une "belle femme brune, qui lève ses yeux au ciel comme pour lui demander ses inspirations. La main gauche soutient un livre. Toute cette figure dégage une grande et calme impression d'austérité et de puissance, et nous ne doutons pas que les hôtes du Pavillon de la Presse n'éprouvent quelque bien à contempler ce philosophique emblème.
En tout cas, ces deux panneaux sont de magnifiques épreuves de céramique moderne, très magistralement traitées par le maître émailleur Leborgne, qui dirige les ateliers de peinture de la maison Mortreux, au parc de Montsouris...
Il y a d'autres beaux morceaux de céramique dans le Pavillon de la Presse; il était du reste naturel d'appliquer à la décoration d'un édifice consacré à cette chose essentiellement moderne, la Presse, un art qui a reçu ses ressources de l'industrie moderne, un art tout nouveau, et qui, dans l'histoire architecturale de ce siècle, représentera peut-être le seul progrès décoratif qui ait été accompli.
Toutes les cheminées du Pavillon sont en faïence émaillée, et toutes sont plus belles les unes pour les autres.
Celle de la salle du comité est peut-être la plus originale, avec ses bouquets en camaïeu sur fond bleuâtre. C'est d'une jolie note bien douce, qui contraste avec les éclatantes peintures des murailles.
Mais de toutes ces cheminées, celle qui est la plus remarquée, parce qu'elle est exécutée sur des dimensions gigantesques, en émaux reliefs cloisonnés, est celle de la salle de correspondance, appelée aussi salle de lecture.
Dans la salle du comité, une superbe glace donnée par M. Bos et fils; des bronzes d'art donnés par MM. Ramgo frères; une pendule donnée par M. Passerat; des mobiliers donnés par la maison Damon et Cie, composent un mobilier qui n'a pas coûté un sou, et que cependant des millionnaires seuls pourraient facilement s'offrir.
Et c'est partout comme cela, aussi bien au rez-de-chaussée qu'au premier étage, où il y a deux salles privées, une pour la presse française, l'autre pour la presse étrangère.
La bibliothèque est fournie de tout ce qu'on peut désirer comme encyclopédies, dictionnaires, traités, atlas, livres scientifiques, etc., etc.
C'est la maison Hachette qui a offert tout cela. Il n'y a pas jusqu'aux jalousies des fenêtres qui ne soient des cadeaux.
Pour certaines installations, ces fournisseurs sans pareils, qui meublent princièrement et n'envoient pas de factures, ont malgré cela trouvé moyen de se faire concurrence. Ainsi, l'éclairage se compose de lampes au pétrole offertes par M. Bernard, d'appareils à gaz offerts par M. Beau, et de lampes électriques offertes par la Société Edison.
Si les journalistes ne sont pas éclairés sur les meilleurs moyens de répandre la lumière, ce ne sera pas faute de lampes variées.
Des deux pavillons qui flanquent celui de la Presse, l'un n'est pas complètement neuf, il a déjà servi aux Champs-Elysées pour je ne sais plus quelle exposition, mais il n'est pas plus mauvais pour cela, et il a été fort bien adapté à sa nouvelle destination.
Il se compose d'une salle de 17 mètres de long sur un peu plus de 8 mètres de large, qui, au moyen de cloisons mobiles et de châssis se relevant pour former véranda, peut s'agrandir encore pour les jours où les représentants de la presse française banquètent avec ceux de la presse étrangère.
De l'autre côté du Pavillon de la Presse se rattache celui des Postes et Télégraphes qui est en partie réservé à la presse, mais qui aura également des guichets ouverts au public.
Ces trois pavillons composent un ensemble qui n'est certainement pas monumental, — l'architecte n'en n'avait ni l'intention ni les moyens, — mais qui ne manque ni d'élégance ni d'originalité.
©Livre d'Or de l'Exposition - Henri Anry.