Sa construction est due à la collaboration de M. de Gayffier, conservateur des forêts de la Marne et de Seine-et-Marne, qui avait déjà construit celui de 1878, et de M. Leblanc, un jeune architecte des bâtiments civils. Alors que le pavillon de 1878 était en bois ouvré, comme un chalet quelconque, celui de 1889 est en bois grume, ce qui lui donne un caractère d'originalité tout particulier.
Il est entièrement en bois recouvert de son écorce, et se compose d'un rez-de-chaussée avec galerie extérieure et d'un premier étage formant une galerie intérieure du plus gracieux effet. La salle du rez-de-chaussée constitue ainsi une espèce de hall entouré d'une colonnade formée d'arbres à l'état naturel, avec des chapiteaux qui rappellent l'architecture hellénique. lia fallu 1400mètres cubes de bois pour cette construction, et tout ce bois a été pris presque exclusivement dans les forêts de Seine-et-Marne, notamment dans celles de Fontainebleau et de Montceaux, avec un choix d'essences différentes, bien entendu. Il n'y a dans cet assemblage de bois français que deux exceptions. Deux pins seuls, extraits de la forêt de Fontainebleau, sont d'origine étrangère. Ce sont des pins dits de lord Weymouth, plantés à la fin du règne de Louis XVI, à l'occasion d'une fête chinoise donnée à la reine Marie-Antoinette dans la forêt de Fontainebleau, et qu'on y avait laissés. Ces pins s'étaient multipliés et il en reste encore une vingtaine sur remplacement où fut donnée la fête.
La réunion de tous ces bois est déjà fort instructive par elle-même, car elle fixe l'attention par sa disposition artistique, et en même temps qu'on admire celle-ci on est obligé de se rendre compte de la valeur technique des éléments employés.
Contre les murs sont des panoplies d'objets en bois et d'outils dont on se sert pour les fabriquer. Sur le sol, d'énormes rondelles, des troncs de toutes grosseurs, nous sont présentés comme spécimens de vieillesse arborifaire et comme échantillons du débit mécanique obtenu à l'aide des instruments perfectionnés d'un usage général dans les forêts de l'État.
Ces instruments perfectionnés sont représentés par une scie verticale et une scie circulaire, qui indiquent les multiples façons dont le bois peut se débiter.
Quant à l'âge des arbres, il est indiqué par des chiffres qui, pour ne pas être extravagants, n'en sont pas moins intéressants. Parmi ceux qui soutiennent la galerie, tant extérieure qu'intérieure, se trouvent des hêtres de cent soixante ans, des chênes pédoncules de cent cinquante ans, des bouleaux, des peupliers et des charmes dont l'âge varie de quatre-vingt-dix à cent vingt ans. Un chêne de la forêt des Trois-Fontaines, dans la Marne, a deux cent cinquante ans. Un pistachier de l'Atlas, des environs d'Alger, a trois cents ans. Un chêne-liège de la province d'Oran a le même âge.
Chaque arrondissement forestier débite le bois selon la qualité de ses essences et selon leur appropriation. Un spécimen de chaque débit nous initie à cette appropriation. Les Vosges, le Jura, le Loiret, le Tarn débitent leurs bois pour la menuiserie et l'ébénisterie; ce dernier département fournit aussi le bois pour les douves, cuves, muids et foudres. Les Pyrénées donnent du bois pour la charpente et les traverses de chemins de fer, les poutres
et les soliveaux. Les Bouches-du-Rhône, avec l'orme champêtre, alimentent le charronnage, comme le chêne de la Côte-d'Or est employé à la construction des wagons de la compagnie Paris-Lyon-Méditerranée. Le Nord fournit du bois pour la batellerie et la Loire-Inférieure celui employé pour les bordages.
Enfin, la salle du rez-de-chaussée offre encore à nos regards trois dioramas excessivement curieux.
Le premier figure la Combe de Péguère, près Cauterets, dans les Hautes-Pyrénées. Le second et le troisième nous donnent le spectacle des torrents de Riou-Bourdoux, dans les Basses-Alpes, et du Bourget, dans les Basses-Alpes. C'est une manière très ingénieuse de nous donner une idée des travaux exécutés par l'Administration des forêts pour le reboisement et le gazonnement des montagnes.
Le mérite de cette idée revient à M. Demontrey, un des plus éminents conservateurs de nos forêts, qui a eu pour collaborateur dans l'exécution de ces dioramas, M. Gabin,un peintre décorateur de beaucoup de talent, qui s'est d'autant mieux acquitté de sa tâche qu'avant de l'entreprendre il a été étudier sur place les paysages et les travaux qu'il allait avoir à interpréter.
Mais examinons d'abord le premier et unique étage du pavillon. Là est la partie la plus savante, la plus technique de l'exposition des forêts. Elle comprend la réunion de tous les insectes et champignons qui sont la plaie de nos forêts, et a côté la collection des feuilles, fleurs et fruits de nos arbres, pour finir aux échantillons de nos terrains forestiers.
On nous présente dans des vitrines quelques-uns de ces champignons parasites qui sont la ruine des plus beaux arbres. Chaque espèce a été prise en quelque sorte en flagrant délit, et souvent à côté du coupable se trouve le corps du délit qui permet de juger la grandeur du crime.
C'est un Polyporus nidulans qui décomposait une branche morte d'un chêne, en décembre 1877, dans la forêt d'Orléans. C'est un Polyporus Dryadeus qui avait tué le cœur d'une souche de chêne, le 21 mars, 1882, à Rebeuville, dans les Vosges. C'est un Rosellinia puercta qui tuait les racines d'un chêne en août 1875, le misérable!
Voici heureusement, d'autre part, des manifestations différentes. Dans des bocaux sont renfermés des fruits, des graines, des essences parfumées, des confitures, des gelées, des conserves de toutes sortes et jusqu'à du vin d'orange, produits forestiers. Puis ce sont des échantillons des divers charbons qu'on peut obtenir avec nos bois. Nous passons ensuite au sol de nos forêts, sol de natures variées selon les zones. Ici ce sont des calcaires de l'étage jurassique, là des marbres pyrénéens, plus loin des grès des Vosges, des granits du Rhin, de l'Yonne et du Puy-de-Dôme, des quartz de l'Allier, des meulières de la Marne et de l'Aisne, etc. Et nous redescendons au rez-de-chaussée pour revoir les dioramas.
A 1300 mètres environ au-dessus de Cauterets, dans les Hautes-Pyrénées, se dresse le pic de Péguère. Une dislocation de la montagne a déterminé la Combe de ce nom que nous représente le premier diorama, et qui constituait pour l'établissement thermal un perpétuel danger.
Dès l'automne de 1885 on a commencé des travaux, continués?jusqu'à ce jour, dont l'objet est de fixer la terre friable de la?montagne, d'immobiliser les blocs et d'empêcher des éboulements. Sur le versant Est de ce même pic de Péguère se trouve?une autre Combe qui, elle, est absolument sans danger, tout?simplement parce qu'elle est gazonnée, embroussaillée et boisée?de la base au sommet. On s'est donc efforcé, depuis quatre ans,?de revêtir la Combe de Péguère de plaques de gazon entremêlées?d'arbustes. Là où le gazon courait le risque de ne pas végéter, on?a construit des revêtements de pierre, en moellons, apportés par?un chemin de fer Decauville qu'on fait marcher sans machine, au?moyen d'une combinaison de pentes calculées pour assurer sa?vitesse ou ses arrêts.
C'est d'ailleurs au milieu de dangers considérables que s'effectue cette besogne intéressante. Mais, grâce à l'expérience et à l'intrépidité des ouvriers et de ceux qui les dirigent, jamais un accident ne s'est produit. En somme, on arrive ainsi à neutraliser l'action des gelées, des infiltrations de l'eau et des phénomènes atmosphériques. On fixe littéralement le terrain de la montagne. Celle-ci y gagne en beauté ; ceux qui vivent sur ses flancs y gagnent en sécurité.
Après l'opération du gazonnement des montagnes, le second diorama qui nous représente le torrent du Riou-Bourdoux, dans
la vallée de l'Ubaye (Basses-Alpes), va nous donner une idée très nette des travaux exécutés par l'Administration des forêts pour endiguer et réduire les torrents dévastateurs de nos pays montagneux.
Le torrent du Riou-Bourdoux est le plus redoutable de tous ceux actuellement en activité dans les Alpes françaises. Il part d'une altitude moyenne de 2 800 mètres, reçoit sur son parcours de nombreux affluents et entraîne avec lui une quantité prodigieuse de déjections, résidus de la montagne, auxquels on a donné le nom justement appliqué de laves. Son action destructive est énorme. Elle Tétait du moins, car depuis 1875 tout s'est sensiblement modifié. Là où le terrain friable offrait une proie facile au torrent, on a créé de toutes pièces une forêt et voilà le terrain devenu solide. Puis on a construit une série de barrages dont l'un surtout, le plus important, clarifie en quelque sorte les eaux du torrent en arrêtant les matériaux qu'elles transportent. Le lit du torrent a été déterminé par un curage méthodique. Partout où les terrains ont pu être reboisés et gazonnés, l'opération a été faite. C'est le spectacle de ces divers travaux que nous offre le second diorama.
Le troisième et dernier nous montre le torrent du Bourget, également dans la vallée de l'Ubaye, et qui est un des premiers auxquels on ait appliqué les travaux préventifs que nous venons d'énumérer sommairement.
L'origine de ce torrent est à 2957 mètres d'altitude. Les premiers travaux à son sujet datent de 1870. On a reboisé tous les terrains stables de son bassin, couvert aujourd'hui d'une forêt de plus de quatre cents hectares, qui s'épaissit de plus en plus. Les terrains installés ont été fixés par une série de travaux dits de correction. Bref, le torrent n'est plus aujourd'hui qu'un ruisseau dont l'œuvre n'est que bienfaisante.
La place nous manque, malheureusement, pour nous étendre, comme nous l'aurions désiré, sur cette question du reboisement de nos montagnes, question complexe et vitale, éminemment intéressante et pleine de surprises, sur laquelle nous sollicitons l'attention de nos lecteurs.
© L'Exposition Universelle de 1889 - Louis Rousselet - 1890