Aquarium d'eau de mer - Expo Paris 1867

Aquarium d'eau de mer à l'exposition de Expo Paris 1867

Ou a beaucoup blagué — passez-moi le mot — l’aquarium marin qui avait le tort irrémédiable pour nos esprits mobiles de n’être pas terminé le premier. On a beaucoup exalté à ses dépens l’aquarium d’eau douce, son voisin et son rival en célébrité; puis, un beau jour — tard il est vrai — la mer et les poissons sont venus ! Maintenant, le public ne dit plus rien,... il admire, et c’est ce qu’il a de mieux à faire.

L’aspect vraiment grandiose, imposant et inattendu de cette construction — dont on ne soupçonne pas au premier abord l’importance — frappe vivement l’esprit des visiteurs.

Il ne faut pas craindre de dire quelquefois la vérité en passant. Nous sommes, nous autres Français, tous un peu Gascons—j’allais dire hâbleurs. — Aussi je fermais, avant d’avoir vu, l’oreille aux bruits des sommes plus ou moins rondes auxquelles on évaluait la construction de ce remarquable édifice. Ma foi! maintenant que j’ai \u, je ne m’étonne plus de rien : auprès de l’aquarium d’eau douce, celui-ci est comme une cathédrale avec sa crypte auprès d’une jolie chapelle. Tous les deux sont des grottes creusées ou percées dans les rochers; mais les données premières de ces constructions sont absolument différentes, et après avoir rendu justice aux excellentes dispositions du premier, nous ne pouvons éviter de dire que celtes du second sont beaucoup plus hardies et moins connues. Il y a, entre les deux, des pas immenses accomplis.

En arrivant dans le Jardin réservé par la porte principale, vous apercevez un peu sur votre gauche la sombre ouverture d’une caverne. C’est l’aquarium marin qui est là. A droite, à gauche, devant vous des stalactites ou stalagmites, descendant des voûtes ou remontant du sol : disons-le tout de suite : on a trop abusé de ce genre de décorations à l’aquarium marin, ce qui a produit le papillotage et la monotonie : mais c’est là une bien légère critique en face, du grandiose de la conception générale.

Une fois entré dans cette caverne — notons en passant que c’est la sortie de l’édifice et qu'il se présente à l’envers aux visiteurs venant du point que nous avons choisi —vous voulez naturellement regarder dans les bacs qui vous entourent, mais vous vous retirez aussitôt désappointé, car vous n’y voyez rien que l’eau qui fait miroir et vous renvoie votre propre image ! Se voir ne manque pas d’agrément, pour les jolies femmes surtout, mais ce n’est pas ce spectacle que l’on est venu chercher à l’aquarium marin ; aussi se retourne-t-on désappointé, pestant et maugréant contre cet Aquarium dans lequel on ne voit rien !

On avise alors dans un coin sombre et tranquille un sergent de ville ou un municipal et, à côté de lui, des degrés qui s’enfoncent dans le sol;... naturellement, on y court,..., mais le gardien impassible vous avertit que vous faites complètement fausse route et vous engage à ressortir de céans et à trouver une autre entrée qui est la bonne. Très-bien! Tous ressortez, pas mal de voyageurs escaladent les rochers à la recherche de cette entrée et s’égarant parmi les tentes et les kiosques, ne trouvent qu’au bout de quelques heures de recherches assidues... Un bon nombre y renoncent et vont admirer les géraniums et les pétunias au lieu démarcher à la découverte de la bonne entrée. On aurait dû se souvenir du fameux fil d'Ariane elle leur tendre sous la forme d’un tient-main qui les eût guidés.

Heureusement, nous sommes plus avisés que cela et nous pensons bien que l’entrée d’un aquarium souterrain ne se fait pas par le sommet des rochers; aussi, suivons-nous prosaïquement leur base et nous arrivons à un petit lac creusé dans le bitume, et rempli d’une eau rousse plus croupissante que réjouissante à la vue. A ce propos, ne serait-il pas possible de modifier cet état de choses et remplir ce lac d’une eau limpide? Ce serait le cas d’y mettre quelque grand poisson de nos mers et de le prier instamment d’y rester. Nous ignorons — ou plutôt nous voulons avoir l’air d’ignorer — s’il y resterait, mais ce que nous devons dire — car il faut la vérité en tout—c’est que l’aspect de l’eau actuelle est glacial et sans vie ! Une tente multicolore abrite cependant les ondes, mais ne suffit pas; et d’ailleurs la cascatelle qui devait remuer cette eau, en la déversant du lac dans le ruisseau, ne marche pas.

Il y a là quelque chose à faire. Or, ces réflexions faites, et satisfait en vous-même de votre érudition et de votre critique, — cela fait toujours plaisir de critiquer, naturellement, on se trouve beaucoup plus fort que celui que l’on critique, — vous arrivez, derrière vous, dans une grotte spacieuse, s’ouvrant sous des colonnes de pétrification, où les pendentifs abondent et qui forme le proscenium du temple des poissons. Ici se renouvelle la scène de là première entrée : glaces enchâssées dans les rochers de tous côtés, eau derrière, poissons ;... on approche, on se voit,... ce n’est pas pour cela qu’on est venu, on se recule, on revient, on se penche et, avec bien de la peine, on finit par apercevoir vaguement quelques crabes, quelques actinies accrochées aux rochers.

Déception.

Mais non ! —- Voici, là-bas, de nouveaux degrés qui se perdent dans le sol. Essayons de cette descente — nota bené qu’il est défendu de fumer dans ce réduit souterrain. — Nous voilà partis pour les profondeurs de la mer. Quinze à vingt marches à descendre et nous nous trouvons dans une grotte souterraine. La voûte est soutenue par de forts piliers naturels, les stalactites pendent de toutes parts, l’eau suinte goutte à goutte des rochers et clapote dans des plis du terrain. Nous tournons, point d’issue, sommes-nous donc prisonniers dans les domaines de l’eau? A cela près d’une odeur très-prononcée de ciment humide — odeur que la fumée du cigare n’eût fait que corriger — la promenade est facile et agréable à la pâle lueur de globes dépolis suspendus à la voûte ou cachés derrière des anfractuosités, ni plus ni moins que dans un décor d’opéra ou une scène d’apothéose d’une Biche au bois quelconque.

O bonheur ! Au détour d’un pilier une voie se présente à nos yeux. C'est un escalier qui remonte à la surface du sol... Nous ressortirons par la première grotte et nous irons humer un air plus frais sous les arbres qui devraient se trouver dans un jardin réservé.

Nous montons....

Ici se présente le plus bel effet de l’aquarium marin, effet qui, à lui seul, vaut toutes les autres merveilles. Au moment où vous croyez revoir le ciel bleu, vous émergez dans les domaines de l’eau. Vous sortez de terre au centre d’une salle oblongue — toujours en rochers bien entendu — dont toutes les parois en glaces sont des murailles d’eau de mer. Tout autour de vous est la mer sous une épaisseur énorme de 1 à 2 mètres : au-dessus de votre tète l’eau... partout dés êtres marins qui vivent, glissent et jouent silencieusement comme des fantômes.

Soutenu par quatre piliers de pierre, rien n’est plus curieux que ce plafond d’eau et de glaces au-dessus desquelles vous voyez glisser les hôtes de la mer. Et si vous vous approchez des parois de la salle? vous en avez pour des heures à voir seulement— sans les étudier — les habitants de 22 bacs séparés de vous par les 8 glaces qui forment comme autant de tableaux animés.

Voici les chiens de-mer gris et mouchetés qui glissent sournoisement au milieu des roches et vous regardent de leurs grands yeux obliques, rappelant ceux des antiques peintures de l’Égypte. A côté d’eux, des raies semblables à des cerfs-volants, sans ficelle, volent dans l’eau près de la surface et vont, ondulant leurs grandes nageoires comme des rames obéissantes et laissant pendre inerte leur longue queue épineuse derrière elles. C’est que chez ces poissons, curieux à plus d’un titre, la queue n’est point un gouvernail comme chez les autres espèces; elle est une arme et une arme redoutable. Arrêtons-nous devant cette bande de mulets argentés à la robe rayée en long : les voyez-vous se pourchasser en plongeant au plus profond de leurs bacs? A côté de la vie active, sans cesse en mouvement, nous contemplons la vie végétative, cette curieuse spécialité delà mer! Voici des prairies d’actinies — les anémones des rochers immergés — il y en a de toutes formes et de toutes couleurs ; là des sociétés de crabes de langoustes, des tribus de congres à la mine brutale, des détachements de chabots ou diables de mer, qui viennent en cabriolant auprès du verre vous regarder de leurs gros yeux vitreux et vous montrer leurs cimiers découpés et bizarres. Puis des huîtres, puis des moules, des coquilles variées, et ici se place une critique — car enfin il faut bien un peu de critique en tout, c’est le sel nécessaire; c’est plutôt le poivre qui relève l’assaisonnement des éloges mérités — une critique donc.


Pourquoi ne pas avoir rempli les bacs de plantes marines? Sont-elles donc rares? Hélas! tout le monde sait le contraire. Pourquoi des rochers de ciment romain, quand il était si facile de faire venir un bateau de pierres couvertes de leur parure d’algues, et revêtues de leurs prairies de varechs naturels? Pourquoi n’avons-nous pas sous les yeux ces plantes si belles, des rouges, des jaunes, des vertes, en queue de paon, en balais, en feuilles de laitue, en longs fils ou en larges feuilles festonnées ? Où sont-elles ces belles parures de la côte ?

Hélas ! Elles seraient encore bien plus agréables aux poissons qu’aux spectateurs. Mais, dira-t-on, les seconds ne verront plus les premiers. Erreur. Le poisson aime ses retraites ordinaires, mais, à quelques exceptions près, il sort de ses cachettes plus souvent qu’on ne pense. Quant aux espèces nocturnes, c’est pour celles-là, si l’on veut les voir, qu’il faut retirer les abris : le congre est de ce nombre. Mais il est, heureusement, un des plus rustiques et l’un de ceux qui prend le mieux son parti de la captivité.

La lacune que nous signalons peut être très-facilement comblée, et l’aspect de la salle intérieure n’en sera que plus féerique. Elle est si frappante d’ailleurs que vous n’entendez qu’une voix parmi les visiteurs : « Pourquoi faut-il qu’une si belle chose s’efface une fois l’Exposition terminée? » Et cela est vrai. Modifié dans le sens que nous avons indiqué, cet aquarium peut devenir une des plus grandes sources d'attraction de Paris et — nous ne voulons pas omettre de le dire — il ferait beau voir le Jardin des Plantes s’emparer d’une œuvre semblable, la transporter dans ses tranquilles massifs, la cacher quelque part et en faire son plus beau joyau. Combien d’études et d’observations curieuses et neuves y prendraient chaque jour naissance sous les yeux de la science ! Hélas ! trois fois hélas ! le fera-t-on ?

©L'Exposition Universelle de 1867 Illustrée