L'exposition anglaise offrait un intérêt tout particulier. Les artistes anglais professaient une grande indépendance dans leur art. Les principes, les règles purement artistiques qui dirigaient l'école française et la plupart des autres écoles d'Europe, semblaient avoir été complètement négligés par eux. Comme dessin, et surtout comme couleur, leurs œuvres laissaient en général beaucoup, sinon tout, à désirer. Mais une étude attentive faisait bientôt découvrir chez leurs principaux artistes un grand sentiment de la vérité, dans l'expression, dans le geste, et dans la composition. Leurs toiles étaient des tableaux parlants. Le peintre avait mis toute sa préoccupation, tout son talent, à faire dire quelque chose à son tableau. Nous, nous laissons à la charge, à la lithographie, les peintures de mœurs: Daumier, Cham, Nadar, qui ont beaucoup d'esprit, amusaient et intéressaient tout le monde ; mais des crayons du Charivari ou du Journal pour rire, ils ne faisaient pas des tableaux. Les Anglais avaient transporté dans la peinture ces boutades humoristique du croquis français, en y ajoutant la teinte positive de leur nature grave et calme. Ils avaient pris la charge au sérieux.
Leurs tableaux de genre, car c'était là où ils excellaient, étaient, du reste, exécutés avec une habileté et une conscience remarquables.
La Grande-Bretagne comptait 232 toiles, envoyées par cent artistes. Avec la France et la Belgique, c'était la nation la plus largement représentée dans le domaine de l'art. Tous les plus célèbres avaient concouru à soutenir la vieille gloire de l'Angleterre : Landseer, Leslie, Goodall, Mulready, O'Neil, Pyne, Roberts, Stanfield, Frost, Eastlake, Cooper, Chalon, Rankley, Salomon, Georges Lance, etc.
On estimait les œuvres envoyées à une valeur de 130,000 livres sterling, environ 3,250,000 francs; elles avaient été assurées par les compagnies anglaises, avant leur départ d'Angleterre.
Nous pénétrions dans la galerie anglaise en entrant par le portique qui donnait sur le vestibule de l'escalier conduisant à la galerie supérieure, à côté du buffet.
Nous commençions par visiter la muraille de gauche.
Nous rencontrions d'abord les Railleurs (921), de M. Rankley, de Londres, avec cette épigraphe tirée de Goldsmith : « Les sots, venus pour railler, restèrent à prier. » Nous remarquions ensuite l'Emotion d'Esther (905), par M. O'Neil; l'Intérieur de l'église Saint-Etienne, à Vienne (929), par M. Roberts ; la Coquette de village (853), par M. Georges Lance ; une toile représentant le Mariage de la reine Victoria (820), tableau officiel appartenant à la reine, par sir G. Hayter.
Landseer, l'illustre peintre d'animaux, dont les moindres toiles s'enlèvent, à Londres, pour 40 et 50,000 fr., débutait par un superbe tableau représentant les Animaux à la forge (858) ; puis venait des Singes brésiliens sur un ananas (856). Ces animaux, presque microscopiques , étaient exécutés avec une habileté et un goût parfaits.
Après M. Landseer, que nous allons retrouver bientôt, venait : Claudio et Isabella (841), par M. Hunt; Sancho Pança et la duchesse (871), un chef-d'œuvre de finesse et d'esprit de Leslie : l'expression de, bonhomie et de confiance de Sancho, le sang-froid un peu forcé de la duchesse, qui réprimait une violente envie de rire que le savoir-vivre retient, étaient exprimés avec un art parfait; Vieille histoire (944), par M. Stone, était une page philosophique très-intéressante; la Scène tirée du Vicaire de Wakefield (870), c'est-à-dire l'épisode de M. Burkell, par M. Leslie, était encore une chose charmante.
L'Epreuve du toucher (884), par M. Maclise; le Bal au bénéfice de la veuve (807), par M. Goodall, étaient aussi très-estimés.
M. Landseer offrait ensuite ses Chiens au coin du feu (863), dont les types étaient si vrais et si habilement rendus.
Nous rencontrions plus loin la Toque rouge (852), par M. G. Lance; un Baptême presbytérien (909), peinture de mœurs anglaises, par M. Phillip ; les Averses (774), par M. Creswick.
Le But (891), scène comique, un peu forcée peut-être, par M. Mulready ; le Choix d'une robe de noces (889); le Canon (897) ; Mettez un enfant dans la voie qu'il doit suivre (895), et la Discussion sur les principes du docteur Winston, tirée du Vicaire de Wake-field (896); le Frère, et la sœur (892); le Parc de Blackheath (890), étaient de charmantes toiles où M. Mulready a montré toute la souplesse d'un talent accompli, et justifié hautement la grande réputation dont il jouissait en Angleterre.
Nous nous trouvions ici en présence d'un petit chef-d'œuvre d'expression et d'esprit : l'Oncle Tobie et la veuve Wadman, sujet tiré de Tristram Shandy,Ac Sterne (869), par M. Leslie. La bonhomie naïvement spirituelle de l'oncle Tobie, qui ôtait sa pipe de la bouche pour souffler dans l'œil de la jeune et jolie veuve, forme un contraste charmant avec la coquetterie malicieuse de celle-ci.
Le Loup et l'agneau (893), par M. Mulready, était peut-être une des plus adorables créations de cet artiste. Comme ces deux enfants étaient bien anglais ! et comme le loup menaçant qui serre les poings et fronce le sourcil, tandis que le pauvre agneau cherche à couvrir sa tête avec son coude, représentait heureusement l'idée profonde de la fable de la Fontaine ! Comme exécution, ce tableau laissait peu à désirer ; comme esprit, c'était un chef-d'œuvre.
Dans un rang inférieur, quoique remarquables cependant, venaient maintenant quelques toiles dignes d'attirer l'attention; c'était : le Braconnier (864), par M. Lee; un Chœur d'église de village (956), par M. Webster; Ophelia (925), par M. Redgrave ; le Ravin des poètes (922), par le même ; la Morra (jeu italien), par M. Hurlstone.
Les artistes anglais ne brillaient pas autant dans leurs tableaux d'histoire; ils n'en avaient exposé qu'un petit nombre ; le genre était leur domaine : ils y régnaient en maîtres. La Bataille de Meeanee (739), par M. Armitage, en était la preuve. Le général sir Ch. Napier, à la tête de 2,500 hommes, remportait, le 17 février 1842, sur l'armée beloutchi, dix fois plus nombreuse, une victoire qui fit passer les provinces du Sindh sous la domination anglaise. Ce tableau, qui rappellait un triomphe national , appartenait à la reine Victoria.
La Fille du gentilhomme (924), par M. Redgrave, était un épisode mélancolique d'une touchante vérité.
Une Loge (818), et la Lecture du roman (817), par M. Hannah, étaient deux compositions qui se faisaient remarquer par une originalité tout anglaise.
Nous citerons maintenant : le Spartiate Isadas repoussant les Thébains (785); François de Carrare, seigneur de Padoue, échappant à la poursuite de Ga-leazzo Visconti, duc de Milan (788) ; les Pèlerins arrivant en vue de Rome (786), de M. Eastlake, qui étaient des toiles intéressantes, mais dans un autre genre. Les Chasseurs de daims en Ecosse (761), par M. Cooper ; Rouge et Noir (756), par M. Cooke ; l'Elève (816), par M. Gush ; le. Dernier appel (942), par M. Stone; une Scène tirée du Bourgeois gentilhomme de Molière (800), où l'esprit de notre grand comique était bien rendu, par M. Frith ; la Famille royale au Temple (954) ; une Veuve napolitaine, pleurant son enfant mort, s'abandonnait au désespoir en entendant les bruits joyeux du carnaval (950), par M. Uwins; et le Jugement de lord William Russel, en 1683 (821), par M. Hayter.
L'Ordre d'élargissement (886), par M. Millais, méritait une mention spéciale. On avait beaucoup discuté devant ce tableau, ce qui était déjà une preuve de son mérite.
La Remontrance (943), par M. Stone; le Rendez-vous de chasse d'Ascot et les équipages de Sa Majesté pour la chasse au cerf (814), par M. Grant ; John Knox cherchant à arrêter la violence du peuple exalté par sa prédication éloquente contre l'Eglise romaine, à Perth, en Ecosse (850), par M. Knigth ; la Présentation de Flora Macdonald au prince Charles-Edouard (845), par M. Johnston ; Henriette-Marie de France secourue dans l'infortune par le cardinal de Retz (790), rie M. Egg, étaient des œuvres d'intention et de styles différents, mais toutes également remarquables.
L'exposition anglaise étaient limitée par un paysage de M. Hùlme, représentant les Gorges de Ffos Noddyn, dans le pays de Galles (838). Nous allions donc traverser la galerie et reprendre, sur la muraille opposée, la série des tableaux anglais, en laissant derrière nous la reprise de l'école française.
Nous rencontrons d'abord deux charmantes toiles : un Episode des jours heureux de Charles Ier (808), par M. Goodall ; Brunetta et Phillis, sujet tiré du Spectateur 936), par M. Solomon; une Scène de controverse religieuse sous Louis XIV (794), par M. Elmore; les Deceptions des actionnaires de la Compagnie de la mer du Sud (953), par M. Ward ; l'Enfance et la vieillesse. (833), par M. Horsley; la Novice (796), par M. Elmore; un Ecrivain public à Séville (910), par M. Phillip; the Sanctuary ( 857 ), par sir E. Landseer.
Le Manoir du baron (883), fête de Noël dans le bon vieux temps, par Maclise, peint assez exactement les mœurs et usages d'autrefois. Le Canon du soir (777), par M. Danby, produisait un certain effet, malgré l'étrangeté et l'exagération du ton général adopté.
Puis venait la Recherche en mariage de Catherine (792), par M. Egg; Florence Cope avant dîner (766), par M. Cope; Serena, accablée, s'endort, et, à son réveil, se trouvait entourée d'anthropophages (752), par M. Chalon ; l'Arrivée du cardinal Wolsey à l'abbaye de Leicester (768), par M. Cope; Intérieur de l'église Saint-Etienne, à Vienne (929), par M. Roberts ; Métastase découvert par le savant Gravina, à Rome (881), par M. M'Innes.
M. Frith avait exposé une petite toile charmante qui représentait un pope russe essayant de faire la cour à lady Montagne (798), la femme si spirituelle de l'ambassadeur d'Angleterre à Constantinople, vers la fin du dix-huitième siècle. M. Egg avait reproduit la première rencontre, dans un cabaret où elle était servante, de la future impératrice de Russie, Catherine, et de Pierre le Grand (793).
On remarque, non loin de là, le Prévôt de Peterhead (810), par M. Gordon, d'Edimbourg; le Bélier à l'attache (862), par sir E. Landseer; une Vue de la Tamise, en aval de Greenwich (826), par M. Holland : Catherine et Petrucchio (868), par M. Leslie; Job et les messagers (917), par M. Poole ; Buckingham rebuté (791), par M. Egg; le Portrait de Paganini (907), par M. Patten.
Il nous restait maintenant peu de toiles à visiter dans la galerie anglaise, mais elles sont très-intéressantes: ce sont : le Déjeuner dans les montagnes d'Ecosse (860 ) Jack en faction (859); les Conducteurs de bestiaux dans les montagnes d'Ecosse (861), par sir E. Landseer:
Sa Majesté la reine Victoria recevant le saint sacrement le jour de son couronnement, par M. Leslie.
Lady Jane Grey et Royer Ascham (834), par M. Horsley; la Reine des bohémiennes (916), par M. Poole; une Réunion musicale (835), par M. Horsley, et, enfin, Jeu du ballon (955), par M. Webster, terminait l'exposition de la Grande-Bretagne.
© Guide dans le Palais de l'Industrie et des Beaux-Arts 1855